PLUS
B'SOIN
Le colonel n'a plus b'soin d' brosse à dents ;
Il a laissé sa gueule à la bataille.
Le p'tit navir' n'a plus b'soin d' sa voilure ;
Il a crevé sa coque à la rocaille.
La belle enfant n'a plus b'soin d' rob' de noces ;
Elle a jeté sa fleur à la canaille.
Le p'tit poulet n'a plus b'soin d' son plumage ;
On a troussé son cul pour la ripaille.
Lison, ton coeur n'a plus b'soin d' mon amour ;
Ton coeur est dur comme un pan de muraille.
Adieu frou-frou, genoux, bisous, rimailles :
Plus b'soin de rien quand on a b'soin de tout.
Norge, La
Langue verte (Gallimard 1954), in Remuer ciel et terre, Labor 1985, p. 170
CHUTE
D'UNE DÉESSE
Paf ! l'a chu, la grande idôlée.
L'était belle et tant cajolée ;
Paf ! l'a chu d'un' seul' tribolée.
Dans ses mâchefers, ses plâtras,
Ses tracas, ses cas, ses fatras
Paf, l'a chu, l'est tote à plat
Z'orgues, vous peut bien gazouiller.
Z'encens, vous peut bien grésiller.
Z'esprits, vous peut bien zézayer.
Paf, l'a chu et l'est tote à plat.
Fallait pas qu'ell' fass' tant semblant.
Fallait pas qu'ell' no saigne à blanc.
Fallait du coeur, fallait du flanc.
N'en avait plus, n'en avait pas.
N'avait plus qu' feintise et blabla :
L'a bien chu, paf, l'est tote à plat.
Norge, La
Langue verte (Gallimard 1954), in Remuer ciel et terre, Labor 1985, p. 186
CRIME
ET CHÂTIMENT
Il avait pris l'habitude de ne plus répondre
Et quand on l'interrogeait, il se donnait simplement l'air d'une poule qui va
pondre.
Il avait pris l'habitude de ne plus se défendre
Et quand on l'accusait, il se donnait simplement l'air de quelqu'un sous qui la
terre va se fendre.
Les choses les plus sérieuses, il semblait vraiment s'en amuser.
Et allait jusqu'à sourire devant les guichets et dans les musées.
Évidemment, cette façon de faire devait lui attirer des ennuis.
Rien n'est insupportable comme quelqu'un qui sourit jour et nuit.
Évidemment, ce qui devait arriver est arrivé
Et un jour, il s'est réveillé en prison avec les deux pieds rivés.
Évidemment, il n'y avait pas de raison de l'en faire sortir
Puisqu'il n'y avait pas eu de raison de l'y faire entrer.
Voilà ce que c'est, Messieurs-dames, de sourire
Quand les autres ne savent pas pourquoi vous souriez.
Norge, La
Langue verte (Gallimard 1954), in Remuer ciel et terre, Labor 1985, p. 217
Remuer ciel et terre,
Labor 1985 (268 p.), reprend Les
râpes, (Seghers 1949), Le
gros gibier (Seghers 1953), Famines
(Stols 1950) et La
Langue verte (Gallimard 1954), avec une lecture de Jean-Marie
Kinkenberg. Les trois textes cités ici ne sont pas repris dans
l'anthologie de Poésie/Gallimard, Poésies
1923-1988, choix et présentation de Lorand Gaspar. Les Oeuvres poétiques 1923-1973 (Seghers) ainsi
que de nombreux recueils publiés chez de petits éditeurs sont devenus
introuvables. Les volumes parus chez Gallimard et Flammarion sont encore
disponibles. A quand une édition des poésies complètes de Norge
?
par Benoît Moreau
Norge dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extraits
3
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