Le corps de l'autre, Georges-Olivier Châteaureynaud

Par Clementso
Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vais vous causer du livre du sieur Châteaureynaud. Et pas simplement parce que sa lecture en est très agréable. Permettez que je fasse preuve d’une sensibilité exacerbée : ce fut le premier auteur que nous avons eu l’occasion de chroniquer. C’était le 8 octobre 2008… Enfin, pas tout à fait. Ah, souvenirs !
Une boucle de bouclée, en quelque sorte, tout aussi cyclique que son roman. Louis Vertumne est chroniqueur littéraire implacable pour un grand quotidien. Rien des productions de ses contemporains ne trouve grâce à ses yeux, et il éreinte tout ce qui lui passe entre les mains avec force. Mais Louis Vertumne est un homme âgé, bien plus qu’à l’hiver de sa vie, et en ce soir de Noël, alors qu’il sort faire une course, il croise un jeune paumé qui tente de le racketter. Cela s’achève sur un coup de couteau malheureux et la mort du chroniqueur. Fin du premier chapitre, page 12.
Mais voilà qu’une seconde plus tard, Vertumne ouvre de nouveau les yeux. Ébranlé, il se redresse et voit son corps, son ancien corps, allongé sur le quai du métro, sans vie. Lui, tient à la main un couteau ensanglanté, l’arme de son propre crime. Il paraît que si l’on fixe le regard de son meurtrier, on prend alors possession de son corps. Vertumne en fait justement l’étrange expérience et devient Donovan Dubois, petit malfrat sans envergure. Seul un téléphone portable dans la poche et une photo, celle de Julie, le guident dans cette nouvelle vie qui s’offre.
Une nouvelle charpente, un physique jeune, prêt à toutes les acrobaties et à même de contenter sexuellement sans compter… Une renaissance ! Mais Louis/Donovan, cette entité neuve ne supporte pas l’existence de Dubois. Il vole la BM de son frère et s’embarque dans un road movie sans but. Il croisera Poppée, professeure alcoolique en congé, qui le sauvera d’un suicide dans l’eau glaciale. Contre la satisfaction de ses appétits sexuels, il obtient le gîte et le couvert. Que faire de cette nouvelle vie ? En profiter pour écrire le roman qu’il aurait toujours voulu lire ?

Vertumne… du nom de ce roi d’Étrurie, dont le nom signifie changement, et qui put changer de forme, qui s’unit à la nymphe Pomone pour former un couple immortel, qui jamais ne vieillit.
Et Poppée, doit-on y lire l’allusion à la seconde épouse de Néron, célèbre tant pour sa beauté que ses intrigues ? Avec Le corps de l’autre, Châteaureynaud livre une fable sur la seconde vie, loin de rimer avec seconde chance. Aux errances du vieillard rajeuni, ses rancœurs latentes et son caractère sinistre s’opposent la vie nouvelle, l’autre chance. Qu’il est incapable ou presque de saisir.
La réincarnation nous offrirait-elle moins qu’elle ne nous prendrait ? C’est le fil conducteur qui nous guide, dans un texte délicieux - on dira ce que l’on veut, mais la langue de Châteaureynaud, c’est tout de même autre chose que celle de Beigbeder, no offense ! Ça se savoure pour cette richesse de vocabulaire, pour la fuite de Louis/Donovan, complètement perdu et la perdition de ce nouvel être. Une jeunesse offerte, sans que l’on sache qu’en faire…

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… Oui, mais si cela ne changeait rien ?

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