De la vulgarité

Publié le 07 avril 2010 par Vogelsong @Vogelsong

Pour P. Riché de Rue 89 J.L. Mélenchon a oublié de faire fonctionner “sa petite cervelle”. L’intelligence en politique, à l’aune de la presse même “alternative”* comme celle d’un “pure player” web, se mesure à la capacité d’un politicien à se cantonner à la bienséance envers la caste des génies que sont les publicistes. Que l’affaire soit disproportionnée, que le sénateur en fasse beaucoup c’est indéniable. Ce qui l’est aussi, c’est l’impossibilité technique à faire émerger une critique des médias sans voir se former les phalanges médiatiques pour défendre, on ne sait qui d’on ne sait quoi ? Une attitude hermétique qui place l’information en France (et ailleurs) au rang de vulgaire bien de consommation.

P. Riché est journaliste, mais ne lit pas ses confrères, ni ne regarde la TV, ni s’intéresse un tant soit peu à ce qui se produit sur le net. A l’image d’une profession tournée vers elle-même il profère des énormités pour donner un sens à sa défense corporatiste. Qu’il soit bien entendu que J.L.Mélenchon fasse de l’écume avec ses déboires journalistiques est un fait. Néanmoins, personne ne peut taxer le leader du Front de gauche de parti pris quant à la « grosseur » des cibles de ses harangues. Le journaliste de Rue 89 écrit “ce dernier aurait alors pu s’excuser auprès du jeune homme, qu’il avait insulté sans grand courage (se serait-il permis de traiter D. Pujadas ou A. Chabot de “tête pourrie” ? )”. Il a précisément invité A. Chabot en juin 2009 lors d’une émission politique à “aller au diable”. Le journaliste devrait savoir que J.L. Mélenchon affuble la starlette de l’information publique “de vache sacrée qu’il faut contourner lorsqu’elle est couchée” P. Riché se pose en défenseur du plus faible sans se poser la question de ce qui se joue. A moins qu’il feigne l’offense pour éviter le principal. En l’occurrence la critique des médias.

Et manifestement, à Rue 89 comme dans les autres médias, la critique est mal vécue, mal venue. Il la résume, ainsi que la remise en cause de la manière dont est distillée l’information, à des “propos à l’emporte-pièce (sur la prétendue mauvaise réputation de l’école de journalisme de Sciences Po, par exemple) et de digressions bourdieusienne propres à galvaniser le lecteur-militant.” Juché sur sa propre objectivité, le journaliste redresseur de torts et vengeur du plus faible (un ancien stagiaire du site) se retranche derrière une sacro-sainte déontologie journalistique pour faire comme si de rien n’était. Car toute tentative pour bâtir une analyse de fond du système mediacratique se retrouve reléguée au piquet du système. Cette fange idéologique que constitue N. Chomsky ou P. Bourdieu. Honnis.

Il est autrement plus aisé d’écouter le bavardage lénifiant d’un D. Wolton qui déblatère des longueurs sur la problématique des médias dans un monde complexe de réseaux, où le journaliste représente la pièce centrale de l’échiquier démocratique. A ce propos, P. Riché parle de la vidéo du stagiaire avec emphase, “dans une démocratie, toute information qui éclaire les citoyens sur les hommes qui se proposent de les représenter est digne d’intérêt.” Bien sûr…

Seulement, on est loin du réel. Le journalisme tel qu’il se pratique et qu’il est enseigné s’apparente plus à un sandwich publicitaire insipide qu’à un véritable outil démocratique visant à éveiller, voire à éclairer le citoyen. Tel qu’il se pratique dans les démocraties contemporaines, il se propose de canaliser, de pondérer l’opinion avec un seul objectif, la vente. Vendre de la publicité, vendre du consensus. Ce qui se joue en réalité, c’est la capacité de donner au citoyen matière à débat sur des sujets clivants, sur des projets de société nettement distincts. Or l’étroitesse médiatique n’offre aucune possibilité pour un tel débat. Du cacique éditocrate au stagiaire zélé, un seul modèle règne, le zapping et la vulgarité banalisée. P. Riché (et ses confrères) au lieu de s’en tenir à l’abattage en règle d’un homme politique qui échafaude (même incorrectement) une critique des médias, devrait se poser les questions de fond sur les rapports qui s’établissent entre ses confrères et la démocratie. Comme interface entre les systèmes de décision (exécutif, législatif) et le peuple, qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans sa mission de passage qui incombe à la presse ? Comment se fait-il que la France (et l’Italie) ai(en)t permis l’accession aux plus hautes fonctions d’hommes tels de N. Sarkozy (ou S. Berlusconi) ?

La pathétique posture de la jouvencelle rudoyée par la critique des médias est une figure classique du philistinisme médiatique. Car la vulgarité ne se niche pas (seulement) dans l’attitude d’un leader de gauche qui écrabouille un apprenti plumitif. La vulgarité se niche tous les soirs au “20h” où une “journaliste” cadrée en plan poitrine, annonce à grands traits le programme du parti majoritaire. La vulgarité se niche tous les jours dans Le Figaro, quotidien appartenant à un sénateur vendeur d’armes spécialisé en martelage propagandiste. La vulgarité ce sont les sujets pulsionnels que les rédactions écoulent comme des pièces de barbaques. La vulgarité c’est refourguer de l’information sur les catastrophes humanitaires encadrées de réclames pour montres haut de gamme et autres ustensiles libidinaux. Mais P. Riché le sait.

La vulgarité, finalement, c’est de savoir tout cela et de rester cramponné à la convenance de cénacles. D’autant plus de la part de Rue89, qui dans cette levée de boucliers en compagnie du “colombaniste” Slate, mais aussi des organes traditionnels de la pensée molle, qui pratique la servilité et de conservatisme. Celle d’une presse insipide, moutonnière, et finalement inutile au débat démocratique.

*de débats et collaboratif…

Vogelsong – 6 avril 2010 -Paris