Mardi, Nicolas Sarkozy s'était déplacé dans l'Essonne, pour parler "agriculture". Le secteur va très mal, et les agriculteurs ont déserté les rangs de l'électorat UMP au dernier scrutin régional. C'est dire s'il y a urgence. L'agriculture est aussi un sujet idéal pour éviter de parler déficits et fiscalité.
Au fait, combien d'agriculteurs bénéficient du bouclier fiscal ?
Les fausses menaces contre l'Europe
Dans sa courte allocution du 24 mars dernier, quelques heures après le séisme des élections régionales, Nicolas Sarkozy avait usé d'un ton martial et de propos provocateur pour afficher sa solidarité d'un jour avec le monde agricole : " je suis prêt à aller à une crise en Europe plutôt que d'accepter le démantèlement de la Politique agricole commune (PAC), plutôt que d'accepter que soit laissée à la spéculation le soin de fixer de façon erratique des prix agricoles qui ne permettraient plus à nos agriculteurs de vivre décemment du fruit de leur travail". Une fausse colère, comme l'avait noté Arnaud Le Parmentier dans les colonnes du Monde. Les décisions au Conseil Européen se font au consensus. Inutile de menacer de guerre, il suffit de voter contre.
Fin mars, la commission européenne a annoncé "un paquet de mesures en faveur du secteur laitier" pour la fin de l'année. Bruno Le Maire s'en est réjouit. Vendredi dernier, le ministre était au congrès de la FNSEA. Un exercice de communication politique qui révèle les intentions du gouvernement. L'agriculture est en crise, donc tout est possible :
1. Le ministre a d'abord critiqué les distorsions de concurrence en Europe, et notamment à cause des règles environnementales plus souples chez certains de nos voisins européens. Nicolas Sarkozy avait fait la même critique au Salon de l'Agriculture. Un jugement qui avait effrayé à juste titre les écologistes.
2. Le Maire a aussi fustigé les écarts de compétitivité: «Sur le coût des salariés saisonniers et permanents, la ferme France a un différentiel annuel avec son voisin allemand de près d'un milliard d'euros» Que souhaite-t-il ? Que les saisonniers précaires sont davantage précarisés ?
3. Enfin, le ministre a demandé à l'Europe qu'elle se dote "de nouveaux instruments contre la volatilité des prix". Baisser le coût du travail, alléger (provisoirement ?) les normes environnementales, et réguler les prix, voici un curieux cocktail au nom de l'identité agricole française.
Après la TVA sociale, la TVA agricole ?
Mardi, Nicolas Sarkozy a encore fait des promesses de soutien, fiscal cette fois-ci. Il s'est fait filmé en pleine réunion de travail dans une ferme céréalière à Buno-Bonnevaux, un village de l'Essonne. Le décor est presque champêtre. Sarkozy était filmé assis, avec derrière lui quelques accessoires de la ferme. On avait dressé une grande table de réunion carrée, drapée de vert, au beau milieu d'une étable. Avant Sarkozy avait touché de la terre, des grains, des bourgeons sur un arbre en fleur. Il avait aussi marché dans de la boue, dans la cour de l'exploitation agricole, regardé l'horizon avec un ton sérieux, une demi-douzaine de photographes sur son flanc pour immortaliser le moment. Mardi matin, le Monarque était ridicule de toutes ses précautions visuelles, mais il était sans doute le seul à ne pas le remarquer.
Parmi les promesses du jour, il a lancé l'idée de deux nouvelles taxes, qui s'apparentent à des formes dérivées de la TVA. Une position curieuse pour quelqu'un qui ne cesse de répéter que les impôts sont déjà trop élevés.
1. Taxer les distributeurs qui ne baissent pas leurs marges, voici la première proposition.
«Quand les prix baissent terriblement, le distributeur signe avec le producteur un accord de modération de marge, qui permet de rééquilibrer du côté du producteur sans pénaliser le consommateur (...). Je suis prêt à la création d'une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales lorsqu'une production agricole n'aura pas fait l'objet d'un accord sur les modérations de marge». Une telle taxe sera intégrée au projet de loi sur la modernisation agricole, examinée le mois prochain par le Sénat. Les sénateurs seront contents de savoir que sur ce sujet au moins, ils n'ont qu'à suivre et se taire : «La taxe sera créée et le ministre de l'Agriculture aura la possibilité, en fonction de l'existence d'accords de modération de marge ou pas, de l'enclencher» a promis Sarkozy. Quelle sera la réaction des distributeurs, si cette disposition est adoptée ? Augmenter les prix de vente aux consommateurs, en d'autre termes, les ménages paieront l'addition, sans différence de traitement en fonction de leurs revenus et de leurs situation.
2. Taxer les grandes surfaces pour éviter les baisses de prix, c'est la seconde idée. Sarkozy l'avance avec prudence. Il faut que l'Europe soit d'accord (cela peut s'apparenter à une forme de contrôle des prix), et Sarkozy ne l'envisage qu'à titre expérimental. Le président français avance le projet d'une taxe sur le prix de vente des produits agricoles qui viserait à compenser une chute trop brutale des prix, et dont le produit serait reversé à la filière agricole. Le Monarque n'est «pas contre», mais avec de nombreuses précautions : «est-ce qu'on peut faire peser sur le prix de vente une taxe qui compense la baisse des prix et le redonner à l'interprofession (agricole)? Je ne suis pas contre», mais il faut «être sûr que ça fonctionne. (...). Je suis prêt à expérimenter sur un ou deux produits, une ou deux productions, ce système (...) si le ministre me dit: ça passera en Europe».
3. Sarkozy assume aussi la réduction des aides européennes à la filière céréalière, au profit des éleveurs et des agriculteurs des zones de montagne. Un milliard d'euros d'aides sont ainsi redéployées. En 2009, les revenus des céréaliers français ont baissé de 51% à cause de la chute des cours des céréales (-24% versus 2007. Cette réallocation des aides, décidée au plus haut de l'inflation des prix de matières premières, était un mouvement indispensable, selon Sarkozy, «pour assurer la pérennité de la Pac en Europe et pour avoir un maximum de pays [européens] derrière nous».
Les participants de la filière sont ressortis déçus. Et ceux de la grande distribution, échaudés par ces deux nouvelles taxes à leur encontre.
La fiscalité s'est donc invitée jusque dans nos champs. A quelques kilomètres de là, les députés socialistes ont déposé mardi après-midi une proposition de loi demandant l'abrogation du bouclier fiscal. Ils veulent aussi interroger le nouveau ministre du Budget, François Baroin, sur l'efficacité de cette mesure symbolique de Sarkofrance. Ils auraient dû écouter Jean-François Copé, le président du groupe UMP, sur France Inter le matin même : Copé, qui revendique sa «franchise», a servi quasiment mot pour mot les éléments de langage de l'Elysée sur le sujet : on ne touche pas au bouclier fiscal.. sauf si de nouveaux efforts étaient demandés «à tout le monde», et on doit d'abord faire les «économies des dépenses inutiles». Puis Copé pointe du doigt les «gisements» d'économies : les dépenses de fonctionnement des collectivités locales et ... la sécurité sociale.
Reposons la question : combien d'agriculteurs bénéficient donc du bouclier fiscal ?
Crédit photo: Elysée.fr