L’alcool n’est pas un péché dans notre famille, c’est un talent, une rente.
J’ai un vague souvenir d’un château bordelais où mon grand-oncle cultivait ses vignes. Il faisait son vin, le goûtait avec amour, le humait, le testait. Il était la fierté de notre branche maternelle et gérait de belles affaires. Toutes les noces se passaient chez lui. C’est là qu’on m’a enseigné l’art de la table, comment marier le cépage aux aliments, comment le savourer. Personne n’était jamais pompette, hormis peut être ma sœur aînée qui, lors d’une fête, s’était cachée sous la table et du haut de ses cinq ans, passait une main habile, raflant tous les fonds de verre. Je crois qu’elle n’a jamais aussi bien dormi de sa vie ! Même pas malade.
On ne nous servait que de la qualité et en quantité suffisante pour ne pas dériver. Par contre, j’ai un ami qui aimait les tord-boyaux bien forts. Il ne savait pas s’arrêter et mon Dieu ! Que de frayeurs j’ai eues en sa compagnie. Combien de fois avons-nous frôlé l’accident. Fort heureusement pour moi, il était seul lorsqu’avec sa moto lorsqu’ il prit ce rond point à l’envers et qu’il virevolta par-dessus le capot d’une voiture pour finir à l’hôpital. On dit qu’il y a un bon Dieu pour les alcooliques…. Il s’en est toujours bien sorti jusqu’à cette ultime dégradation, celle de son foie. Enclin de naissance à fabriquer trop de fer, son foie devint vite une éponge abondamment gorgée et ce fut la dégringolade, la déchéance, la pitié puis la greffe.
A quarante deux ans, il est désormais diminué pour le restant de ses jours, condamné à avaler des tonnes de médicaments pour ne pas faire de rejet et il n’a toujours rien compris ! Il a remplacé l’eau de vie par la vinasse, à grande dose pour combler le manque et ne se sent bien que dans cet état second.
L’alcool est un fléau qui colle à la peau.