... Ca y'est, ma série est enfin terminée. Après quelques bonnes nuits de travail, j'ai enfin conclu le projet que je mène depuis quelque temps sur Chatroulette. 99 compositions, quelques centaines d'images (j'en ai pris 2005 mais je ne les ai pas toutes utilisées), des histoires qui se racontent en deux, trois, dix images mises en commun. Des instants parfois très fugaces, à, peine le temps de prendre une image de ce "partner" qui clique sur "Next" plus vite que son ombre, d'autres rencontres plus longues où j'expliquais ma démarche pour la partager et susciter d'autres réactions. Des contacts terrestres et quasi extra-terrestres et surtout une invraisemblable quantité de réactions face à mon objectif pointé sur le prochain "partner" à apparaître sur mon écran.
De l'employé au Moyen-Orient qui me supplie de ne pas diffuser sa photo car il ne veut pas se faire virer par son patron qui ne sait pas qu'il va sur Chatroulette au nazillon qui me montre ses poings bien serrés, mon objectif est aussi offensant pour certains qu'amusant pour d'autres. Celui-ci se cache subitement hors du cadre de son écran et met son autre main devant sa webcam pour être sûr de ne pas être vu. Pourtant, c'est bien lui qui est sur Chatroulette, de son plein gré. Cet autre, militaire dans sa caserne, qui se la joue Scarface et me pointe un calibre comme preuve tangible de sa désapprobation. Ces dizaines de sourires, de gestes sympathiques devant le jeu, compris, accepté, partagé que je propose au "partner" d'en face. Ces femmes qui cliquent sur "Next" à toute vitesse à la vue de mon objectif en pensant probablement être face à un pervers (ce que je dois être un peu mais bien moins qu'un paquet d'autres). Ces dizaines de mains qui s'activent sur des bites en gros plan, ces quelques femmes, plus rares, qui font comme ces messieurs.
Ces mères de famille pas forcément désespérées qui viennent s'encanailler sur le dernier site à la mode dont elles ont entendu parler par leur aîné et qui vont voir, histoire de, en prenant une pose digne qui veut dire "non, non, je suis juste là pour voir ce que c'est mais ça ne m'intéresse pas du tout mais j'y vais pour savoir ce que fait mon grand". Ces musiciens qui font écouter leurs productions et me sourient en continuant à gratter. Ces pré-ados qui tentent de voir un sein, des fesses et autres choses avc des panneaux faits main 'Show me your tits", bravant le goût de l'interdit sans se douter un seul instant qu'ils pourraient faire des rencontres dangereuses. Ces grimaces qu'on m'offre, ces quelques secondes qu'on me demande de patienter le temps d'aller chercher un masque, un bonnet afin de poser pour moi. Ces absences totales de réaction aussi parfois. Rien. Encéphalogramme plat devant mon zoom. Trop raides pour cliquer sur "Next". Ces appareils photo qu'on va chercher pour me tirer le portrait à mon tour, ce que j'accepte volontiers.
Ces hommes ététés ou carrément masqués dont on ne sait jamais si c'est pour protéger leur intimité ou tromper. Ces images enfantines, Titi, Kiki le gentil Kiki, le gentil chienchien aussi, ces personnages des Simpson, amusants au premier abord mais dont on se demande toujours s'ils ne recèlent pas autre chose. Car au delà de l'image, que je, vous, ils décident d'offrir sur Chatroulette en se connectant sur le site, ce site est à l'image de notre monde. Souvent nauséabond, un peu terrifiant avec parfois de très bonnes surprises. Comme cette Amstellodamoise aux yeux de biche avec qui j'ai discuté de Klimt. Comme ce groupe de rock Berlinois et moustachu avec qui je suis resté une demi-heure. Comme ces doigts d'honneur qui se transforment en rire une fois que j'ai expliqué mon idée. Comme ces intérieurs vides sans personnages, petits morceaux de notre planète que d'autres offrent à la vue de tous, lits défaits, chaises vides, plantes vertes sans autre intérêt que celui de venir d'un autre endroit du monde que l'on ne verra jamais. Comme ce vendeur de jean Turc qui me montre sa boutique, cheap, good price et qui essaye à tout prix de m'en refourguer un. Comme cette brune qui rigole et se met à jouer la vamp, ébouriffant ses cheveux à la Marilyn avant de m'envoyer un baiser complice et amusé. Comme cette femme qui me demande si je suis un pervers, qui comprend que non et qui me sort un énorme vibromasseur rose pour me montrer comment elle se défend avec humour quand certains sont trop empressés, comme ces passages entre deux images que mon appareil a capté et qui donnent des fantômes dans un mode virtuel, comme ces abstractions que j'apprécie, issues d'un caméra mal réglée, trop proche, tombée, comme toutes ces connexions qui ne sont jamais arrivées entre tel et tel "Partner" et que je rends possible en composant ces images. Chatroulette est aléatoire, comme le monde. Si vous avez envie de plonger dans l'inconnu, toute la série (disponible pour une exposition ou sur commande) est ici : link