Il est assez rare que nous lisons la presse (quoique plus souvent que le Journal de Montréal) mais nous y avons trouvé un article très intéressant sur la communauté musulmane au Québec. Cet article démolit une série de préjugés et d’idées préconçus xénophobes assez reprises dans la population en général. Nous vous conseillons de porter particulièrement attention au dernier point (13). Il risque d’en surprendre certains…
Caroline Touzin et Laura-Julie Perreault
La Presse
Depuis le début de sa tournée, la commission Bouchard-Taylor en entend des vertes et des pas mûres sur les accommodements raisonnables, l’immigration et certaines communautés culturelles. Alors que les commissaires entament ce soir les dernières audiences à Montréal, examinons quelques mythes entendus aux quatre coins de la province…et la réalité.
Accommodements raisonnables
1. Les accommodements raisonnables servent essentiellement les groupes religieux fondamentalistes.
Faux. Toute personne victime de discrimination en raison d’une caractéristique personnelle visée par les chartes des droits (sexe, grossesse, état civil, âge, religion, origine ethnique, handicap, etc.) a droit à des accommodements raisonnables. La vaste majorité des demandes d’accommodement au Québec porte sur un handicap. «Les demandes d’accommodement à caractère religieux devant les tribunaux restent plutôt marginales», indique Christian Brunelle, vice-doyen aux programmes de premier cycle de la faculté de droit de l’Université Laval.
2. Les accommodements raisonnables sont un problème lié à l’immigration.
Pas nécessairement. La Commission des droits de la personne, entre 2000 et 2006, a examiné 32 demandes d’accommodement religieux. Dix provenaient de protestants, neuf de musulmans, sept de juifs, cinq de témoins de Jéhovah et une d’un catholique. «De ces données, on ne peut pas tirer la conclusion que les demandes d’accommodement raisonnable sont nécessairement liées à l’immigration ni même à un groupe religieux en particulier», souligne Pierre Bosset, professeur au département des sciences juridiques de l’UQAM.
3. Les universités sont obligées de fournir des locaux de prière à leurs étudiants.
Faux. «Aucun tribunal ne s’est prononcé en ce sens», indique Pierre Bosset.
En 2006, la Commission des droits de la personne a recommandé à l’École de technologie supérieure, une constituante de l’Université du Québec, de proposer un accommodement faisant en sorte «que les étudiants de religion musulmane fréquentant l’ETS puissent prier, sur une base régulière, dans des conditions qui respectent leur droit à la sauvegarde de leur dignité». La Commission a refusé de donner suite à la demande des étudiants, qui réclamaient initialement qu’un local de prière leur soit attribué en permanence.
En réponse à la recommandation de la Commission, l’ETS a fait savoir qu’elle mettait à la disposition de tous ses étudiants «56 salles de cours qui sont libres «…» pour un total de près de 260 heures de disponibilité par jour ou plus de 1300 heures par semaine». L’ETS a également décidé de publier un horaire de type inversé qui fait connaître la liste des locaux libres chaque jour. Cet horaire est porté à la connaissance des étudiants par courriel à chaque début de trimestre.
La Commission a estimé que ces mesures d’accommodement étaient raisonnables et a décidé de ne pas s’adresser au tribunal.
4. On sort le crucifix des écoles, mais on rentre le kirpan. C’est dangereux, des couteaux à l’école.
Aucun incident violent lié au kirpan n’a été signalé dans les écoles du Canada depuis la décision rendue par la Cour suprême en mars 2006. Dans une décision unanime, les juges ont estimé que le kirpan ne constituait pas une menace à la sécurité. De plus, la Cour a reconnu que l’accommodement demandé par Gurbaj Singh Multani, le jeune Montréalais qui a porté la cause devant les tribunaux, était raisonnable puisqu’il acceptait de porter le kirpan sous ses vêtements, dans un étui de bois lui-même cousu dans une étoffe. Environ 5% des 8500 sikhs du Québec portent le kirpan, dont une infime minorité d’enfants.
5. La liberté religieuse jouit d’une prépondérance de principe sur les autres droits et libertés, notamment sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
Faux. Les tribunaux considèrent que les droits et libertés ont une égale valeur et qu’il n’y a pas de hiérarchie entre eux. Les juges cherchent plutôt à établir un équilibre entre ces droits et libertés en fonction des faits et du contexte propres à chaque affaire. À titre d’exemple, le droit des femmes à la liberté et à la sécurité peut justifier le recours à l’avortement même si cette pratique constitue, selon certains, une atteinte au droit à la vie. De même, les tribunaux pourront permettre à des médecins de pratiquer une transfusion sanguine pour sauver la vie d’une personne même si celle-ci s’y oppose pour des raisons religieuses. Au Québec, il n’existe à ce jour aucune décision judiciaire où la liberté de religion prime le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes, explique Christian Brunelle.
6. Les tribunaux interprètent l’obligation d’accommodement en faisant fi des droits de la majorité.
Faux. Les tribunaux ont affirmé très clairement que l’obligation d’accommodement n’est ni absolue, ni illimitée. Une demande d’accommodement peut être rejetée si elle entraîne une «contrainte excessive» ou un «fardeau déraisonnable» pour la personne ou l’institution qui la reçoit. Dans la détermination de ce qui constitue une «contrainte excessive», l’atteinte aux droits d’autrui est d’ailleurs un facteur important aux yeux des tribunaux, explique Christian Brunelle.
L’immigration et les communautés culturelles
7. Les immigrés ne parlent pas français. S’ils ne veulent pas apprendre notre langue, qu’ils retournent dans leur pays.
La connaissance du français et le bilinguisme (anglais-français) ont beaucoup augmenté chez les immigrés au cours des dernières années. Entre 1980 et 1984, 38% des nouveaux arrivants connaissaient le français ou étaient bilingues. Cette proportion a atteint 50% pour la période de 2000 à 2004. Au cours des années 2001-2003 et 2004-2006, la proportion moyenne de nouveaux venus qui connaissaient le français est passée de 49% à 57%. Dans la population allophone* (autre que francophone, anglophone ou autochtone) établie au Québec, la proportion des personnes en mesure de converser en français était de 47% en 1971 comparativement à 74% en 2001.
8. Les musulmans ne s’intègrent pas dans la société québécoise.
Faux. «Le Québec a la communauté musulmane la plus qualifiée et la plus instruite du monde occidental dans son entier. Les musulmans viennent pour travailler et pour s’intégrer», note Frédéric Castel, chercheur à l’UQAM. Plus du tiers des musulmans au Québec ont un diplôme universitaire. C’est une proportion beaucoup plus élevée que dans la population québécoise en général. De plus, 75% des musulmans québécois parlent français. «Il n’y a pas de taux plus élevé parmi toutes les communautés culturelles», ajoute Frédéric Castel. Parmi les musulmans originaires du Maghreb, 95% maîtrisent la langue de Vigneault.
9. Comme Québécois catholique, pourquoi devrais-je payer pour que mon miel et mon beurre d’arachides Kraft soient casher?
Après avoir entendu maintes fois des propos sur une prétendue «taxe casher», le commissaire Gérard Bouchard a fini par les qualifier d’«antisémites». Des produits de consommation courante comme le ketchup Heinz ont cette certification religieuse basée sur la loi juive. Or, l’effet sur le prix est minime puisque ces produits sont fabriqués en grand volume. Dans la portion épicerie chez Metro, 75% des produits sont casher. Or, les fournisseurs de Metro ne facturent pas plus cher pour cette certification, assure sa porte-parole, Marie-Claude Bacon. Pour l’obtenir, les entreprises doivent suivre des règles très strictes et mettre de côté certains ingrédients. Une minorité de produits sont plus chers et ce ne sont pas des produits de consommation courante. On parle de produits comme la viande casher, généralement en vente dans des épiceries spécialisées. Cette dernière est vendue dans quelques grandes surfaces seulement au Québec, et toujours clairement marquée comme telle.
10. Les musulmans vivent dans des ghettos.
Faux. Les ghettos musulmans existent dans certains pays européens, notamment en Angleterre et en France, mais pas au Québec. «À Montréal, les musulmans sont dispersés dans toute l’île et même dans certains quartiers qui, traditionnellement, n’accueillent pas d’immigrés, comme Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve. Il y en a aussi sur la Rive-Sud et à Laval. Dans les endroits où il y a de plus fortes concentrations de musulmans, notamment à Saint-Laurent, Côte-des-Neiges et Parc-Extension, ils cohabitent avec beaucoup d’autres communautés», soutient le chercheur Frédéric Castel, de l’UQAM, qui s’est récemment penché sur la question.
11. Le nombre grandissant de femmes voilées à Montréal démontre que la communauté musulmane se radicalise.
Faux. Les experts attribuent le nombre croissant de femmes qui portent le hijab au Québec non pas à un vent de conservatisme dans la communauté musulmane, mais davantage au fait que le nombre de musulmans a quadruplé au Québec depuis 15 ans. Il n’existe pas de statistiques exactes, mais les universitaires qui s’intéressent aux musulmanes québécoises notent qu’entre 5% et 15% d’entre elles portent le hijab.
12. Les musulmans ne peuvent pas épouser des gens qui ne partagent pas leur foi.
Faux. En principe, le Coran dit qu’un musulman ne peut pas épouser une femme polythéiste (qui croit en plusieurs dieux), mais il peut épouser une chrétienne ou une juive. Le Coran ne dit rien sur le droit des femmes de se marier avec un non-musulman. Traditionnellement, les interprétations diffèrent quant à ce droit.
13. Les Québécois de souche seront bientôt une minorité au Québec.
Faux. En ce moment, seulement 10% de la population du Québec est née à l’extérieur du pays. Dans le but d’accroître sa population jeune et sa main-d’oeuvre, le Québec recrute environ 45 000 immigrants par année et reçoit quelques milliers de réfugiés. À ce rythme, il faudrait 150 ans pour que les Québécois de souche deviennent minoritaires.