Ca va se savoir

Publié le 05 avril 2010 par Coline
Au commencement, il y a Simon Monceau, sa verve, son emphase et sa parfaite maîtrise du dictionnaire des synonymes. Poète, psychologue et agitateur aguerri, il possède, en plus de son autodérision, le grand talent de ne jamais tout à fait sombrer dans un cynisme pourtant si évident. Adaptée de l'américaine Jerry Springer Show pour la télévision belge, l'émission fait référence à toute une culture de la révélation choc et télévisuelle qui sévit depuis une dizaine d'années sur les écrans.
Déroulé
Ici, chaque étape est le fruit d'un protocole établi et identique à chaque émission. Dans un premier temps, Simon Monceau arrive sur la plateau, débordant d'énergie, claquant la main de quelques membres du public et introduisant le sujet sur base d'allégories. Le premier invité s'installe ensuite sur l'estrade, face au public. Il est questionné par l'animateur et confesse la raison pour laquelle il est présent. C'est généralement une histoire de mœurs, souvent une révélation, un soupçon ou une découverte concernant le second invité, : il veut partir avec la femme de son meilleur ami, soupçonne sa femme de se prostituer, etc... La personne concernée par la révélation entre alors sur le plateau et s'installe à ses côtés. S'ensuit la révélation, toujours rythmée et relancée par Simon Monceau et par les sifflements accusateurs du public.
Une fois la tension dramatique à son comble, le présentateur annonce, comme une surprise, l'arrivée d'un troisième témoin, source d'un nouvelle révélation, origine du conflit ou élément réconciliateur. La dispute devient alors rapidement stérile et, si les invités sont tentés d'en venir aux mains, deux vigiles se tiennent derrière eux, prêts à tout moment à s'interposer. C'est le moment pour Simon M. de lancer la dernière partie de la rencontre : "Les questions... et réactions du public". Le public jusqu'à présent relégué au rang de spectateur s'en donne cette-fois ci à cœur joie pour juger, donner son opinion ou condamner l'un ou l'autre dans un manichéisme qui vient contrebalancer la position du présentateur. Pour clore l'émission, Simon Monceau s'enquiert d'un nouveau discours, cette fois en forme de morale avant de repartir dans le même élan qui l'habitait au début de l'émission.
Mise en scène
Tout ceci serait finalement plutôt banal (dans le paysage audiovisuel de l'époque) si tant était que cela fusse vrai. Mais ce qui rend l'émission bien plus intéressante, ce n'est pas tant son protocole (puisqu'il est chose courante dans les programmes du genre, avec pour exemple des plus significatifs : Y'a que la vérité qui compte), sa belgitude (accent et style vestimentaire sommes toutes très années 90 - très AB donc -, qui rend néanmoins la chose éminemment plus drôle) ni même le véritable talent pince-sans-rire de Simon Monceau, mais bien le fait que les invités soient des acteurs (qui plus est, des amateurs), et que l'émission le reconnaisse dès son générique.
Elle aurait pu jouer de facilité en se positionnant comme bon nombre d'émissions (et comme son grand frère, le Jerry Springer Show), où la frontière entre réalité, mise en scène imposée et dramaturgie inconsciente est souvent floue. Mieux encore, Ca va se savoir est jouée, mais pas réellement scénarisée puisque seul le thème (mais non le déroulement) est connu à l'avance des acteurs. C'est là qu'elle tient finalement toute son ambiguïté : derrière la bêtise trop facilement dénonçable, le programme nous devance et prend le contre-pied de nos réflexes primaires. Là où l'habitude nous pousse à être par défaut méfiant quant à la véracité des émissions de "confession", l'aveu en amont de mise en scène de Ca va se savoir nous empêche de nous positionner comme tel et ouvre au contraire notre curiosité. Couplée à cela, l'implication
toute entière de chacun (invité, public et présentateur) est telle qu'elle nous apparaît finalement plus réelle qu'un show qui se revendiquerait réel, parce que nous sommes débarrassés de notre jugement primaire.
Mise en plis
De même, l'émission brille par sa sobriété (en total contraste avec la mise en scène gargantuesque du plateau de Bataille et Fontaine) : chaises en bois et estrade comme dans une salle de classe, décor minimaliste, absence de musique, de reportages vidéos, de conversations biaisées par un écran, jeu des acteurs un peu faux et par là même, assez réaliste du public susceptible de venir se montrer dans ce type d'émission (à supposer que les situations soient réelles)... Je le disais plus haut, le style éminemment 90's paraît si évident que la jeunesse de l'émission surprend. Il est difficile d'en tirer des conclusions, mais les questions qu'il soulève ne sont pas dénuées d'intérêt. De quoi cette uniformité dans l'anachronisme vestimentaire et capillaires des participants à l'émission est-elle représentative ? Il serait facile d'imposer le cliché de l'origine belge de cette émission comme explication à une certaine forme de désuétude, et quand bien même cette donnée serait partie prenante du "style" de l'émission (l'accent, pour commencer), elle n'en est pas la cause toute entière. Il est probablement plus intéressant de se tourner vers l'origine d'AB et ses premières amours : la sitcom. Tout est là : les acteurs pas très bon, les situations rocambolesques, les propos exagérés, le manichéisme, les clichés, le formalisme (où l'invariabilité du déroulement et le minimalisme des décors remplacent l'évolution d'une intrigue dans seulement trois lieux).
Décomposée en de multiples éléments, la critique (tout du moins la satire) est au cœur même de l'émission, stigmatisant à la fois la pauvreté de la sitcom, et l'excessivité de la "télé de l'intime" sous la forme du divertissement bête et racoleur.
Mise en abyme
Reste que si l'émission porte en elle cette constante, ce n'est pas là son premier niveau de lecture.
Deux questions se posent alors :
D'une part les messages et idées véhiculés lorsqu'elle est prise au premier degré sont particulièrement obscènes : immiscement dans l'intime, manichéisme, misérabilisme, aguichement, mépris...
D'autre part, la question du point de vue des participants reste au cœur du mystère (et donc de l'intérêt) de l'émission. S'il ne fait pas de doute quant à Simon Monceau, qui, de part la subtilité avec laquelle il manie la limite de l'ironie et du cynisme, nous montre l'aspect sinon critique, du moins malicieux de l'émission, il en est tout autre des invités, et plus encore du public. L'implication de chacun est si grande qu'elle amène à douter : le public (figurants volontaires, dit-on) et les acteurs sont-ils des pions inconscients de la cuisine à laquelle ils prennent part ? Participent-ils au jeu dans le plaisir et le relâchement de libérer des hypothétiques instincts premiers de bêtise et de jugement ou sont-ils eux aussi partie prenante de la satire ?
Quoi qu'il en soit, si Simon Monceau est certainement la raison majeure du succès de l'émission (très souvent parodié) c'est bien parce que son phrasé est seul garant de la distance émotionnelle et intellectuelle. C'est aussi pour cela qu'il est mon héros.
Un épisode de Ca va se savoir :


Interview de Simon Monceau sur toutelatele.com
Ca va se savoir
En ce moment sur RTL9 : tous les jours à 4h10 et
du lundi au vendredi à 16h50
FICHE PROGRAMME
Emission : Ca va se savoir
Genre : Divertissement
Présentation : Simon Monceau
Durée : 25 min
Création : Belgique, 2002
Production : AB3
Diffusion : AB3 (Belgique), RTL9, NT1