Aceh – Haïti : un modèle exemplaire dans des conditions d...

Publié le 06 avril 2010 par 509
Aceh – Haïti : un modèle exemplaire dans des conditions différentes !
Dans un article d’Arnaud Guiguitant sorti dans Le Monde du 20 janvier 2010, l’auteur soutient que « La reconstruction de la province d’Aceh et de l’île voisine de Nias, en Indonésie, frappées le 26 décembre 2004 par un tsunami qui ravagea les côtes nord de l’île de Sumatra, et plongea l’archipel dans le pire des chaos, pourrait servir d’exemple pour le gouvernement haïtien. » Comment faut-il apprécier cette remarque de l’auteur tout en tenant compte des conditions et contextes absolument différents pour les deux pays ?
La première chose qu’il convient de dire est que beaucoup de commentateurs haïtiens et étrangers reconnaissent que le modèle de reconstruction de la province d’Aceh est un modèle indiscutable pour la reconstruction d’Haïti. Les principaux acteurs de la reconstruction d’Aceh étaient le Gouvernement de cette province, la Banque mondiale et la communauté internationale. On estime que ce triumvirat avait bel et bien délivré la marchandise dans la mesure où, toujours d’après l’article d’Arnaud Guiguitant, les activités économiques dans cette province dès 2009 étaient déjà lancées et la reconstruction effective.
Dans le cas d’Haiti, les acteurs qui sont en train de se positionner pour la reconstruction sont, bien sûr, le Gouvernement haïtien, la Banque mondiale et les donateurs de la communauté internationale. Le triumvirat, jusqu’à présent, est pratiquement le même. Et les perspectives pourraient laisser croire que le schéma de reconstruction sera le même.
Cependant, certains commentateurs estiment que quelques spécificités sont à prendre en compte, car les conditions ne sont pas les mêmes pour les deux pays. Par exemple, on doit se rappeler que Aceh représente une province de l’Indonésie, donc ce n’est pas l’État indonésien qui a été frappé. Or, il en est tout autre pour Haiti ! Quoique ce ne soit pas tout le pays d’Haiti qui soit détruit par le séisme du 12 janvier dernier, mais c’est comme si c’était le cas, car on a assisté à l’effondrement de l’État haïtien et des symboles du pouvoir de cet État.
Par ailleurs, le poids économique et politique de la destruction de la province d’Aceh pour l’État indonésien peut ne rien représenter par rapport à celui de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince pour l’État haïtien. En effet, il est connu que toutes activités économiques et politiques essentielles en Haiti sont concentrées à Port-au-Prince, au point que l’on parle de la république de Port-au-Prince. Donc, non seulement le siège du pouvoir de l’État haïtien est grandement affecté, mais la faiblesse déjà perceptible du Gouvernement haïtien dans la coordination des actions à mener laisse présager un éventuel échec de cette reconstruction.
Sur ce point, beaucoup s’accordent à reconnaître que la véritable raison qui a assuré la réussite du modèle de reconstruction de la province d’Aceh est principalement le dynamisme du Gouvernement d’Aceh et l’engagement de l’État indonésien. En effet, « 6,7 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros), sur les 7,2 engagés par le gouvernement et les donateurs internationaux, ont permis d’effacer les traces du passé », toujours selon Arnaud Guiguitant.
D’autres commentateurs soutiennent que si l’État indonésien n’avait pas démontré sa capacité à coordonner cette reconstruction de concert avec les deux autres acteurs du triumvirat, la province d’Aceh serait probablement aujourd’hui dans la situation qu’elle était quelques jours après le désastre. La question est alors : l’État haïtien ne sera-t-il pas le maillon faible de la chaîne dans ce triumvirat avec la Banque mondiale et la communauté internationale pour la reconstruction d’Haiti ? L’Administration Préval/Bellerive a-t-elle l’étoffe qu’il faut pour jouer, aux côtés de ces deux acteurs, un rôle majeur dans cette grande œuvre ?
Donc, on conviendra avec nous qu’il ne suffit pas de dire qu’il faut appliquer le modèle de reconstruction de la province d’Aceh pour Haiti, il faut de préférence s’attarder, de façon avisée, sur les nombreuses spécificités de chacun des désastres pour voir plus clair ce que les dirigeants du pays d’Haiti peuvent réaliser dans cette mouvance. Il est évident que c’est le dynamisme et l’engagement des dirigeants de l’Indonésie qui ont essentiellement permis au pays de sortir avec brio du désastre. Les dirigeants politiques et économiques haïtiens sont-ils à la hauteur de cette tâche ? Chacun peut se donner la réponse qui lui convient ! Mais nous devons reconnaître que Gonaives, depuis la tempête Jeanne en 2004, reste encore un exemple vivant pour nous éclairer dans notre réponse.
Note : Arnaud Guiguitant, « La renaissance d’Aceh après le tsunami de 2004 : un exemple à suivre ? » Le Monde du 20 janvier 2010.
Par Jean Samuel Vincent