Pâques / Traditions / Où sont passés les cerfs-volants ?
Cerfs-volants ! Ces objets volants étaient hier encore incontournables à l’époque du Carême. Et dans plusieurs artères de la capitale, ils s’alignaient à perte de vue dans l’attente du client, jeune ou moins jeune, car lancer le cerf-volant est affaire de tous. Cette année, ce n’est pas le cas, le 12 janvier en a à revoir avec cette rupture de la tradition. La phobie des maisons en béton s’est installée dans la tête et le cœur d’une grande majorité de la population.
Le vent souffle et vous griffe la peau, la chaleur est déjà insupportable, elle est inhabituelle en cette période de l’année. Mais ce qui trouble le plus, c’est ce ciel désespérément vide. Les cerfs-volants qui animaient le ciel au cours de l’époque pascale se font rares et les préparatifs pour en fabriquer davantage ne s’observent pas. Fini le ciel constellé de couleurs et de formes diverses, ainsi que les cris accompagnant les « koulé » entre les cerfs-volistes. Le séisme a détruit une grande majorité de maisons et celles qui restent n’inspirent pas confiance. « Qui serait assez inconscient pour grimper sur le toit d’une maison après ce qui s’est passé », s’interroge un jeune homme de 16 ans, soulignant que de toute façon ces parents ne lui auraient pas donné la permission de le faire.
Certains essaient de lancer leurs cerfs-volants en pleine rue. Histoire de s’adonner à leur plaisir contre vents et marées. Maxi, 22 ans, ne cache pas ses intentions pour les derniers jours de la semaine sainte. « J’habite dans une impasse qui est surélevée et je n’ai pas besoin de monter sur un toit », explique-t-il, montrant le bois et le fil qu’il s’est déjà procuré pour construire son œuvre. Pour cette année, il se contentera d’un « tranche-melon » dont la fabrication n’est pas très sophistiquée. Mais beaucoup n’ont pas sa chance, ceux qui se sont réfugiés dans les centres d’hébergement ne peuvent avoir une telle aspiration, le cœur n’y étant pas et, surtout, les moyens faisant défaut.
« Les gens n’ont pas la tête à cela en cette période, il y a plus urgent », déclare une mère de famille, Vestia, la cinquantaine bien entamée. Pour elle, il faudra que les enfants se résignent à renoncer à ce jeu cette année. « Dans le camp où je vis, plusieurs enfants ont commencé à fabriquer leurs cerfs-volants. Comme il n’y a pas de danger, on pourrait les autoriser à les lancer », concède-t-elle cependant. « Cette année, malgré les difficultés je vais mettre dans les airs mon grandou, mais je vais éviter soigneusement les toits et les maisons fissurées », confie Jocelyn, dix ans, qui n’a pas encore tout le matériel nécessaire pour réaliser son projet. Il lui manque le plastique.
Du côté des vendeurs, ce n’est pas non plus la fête. Près de la place Saint-Pierre, Geraldo, vendeurs de cerfs-volants depuis une dizaine d’années, se plaint de cette conjoncture difficile. « C’est la première fois que les affaires vont aussi mal », déplore-t-il, fixant une dizaine de ses produits à un mur. Il n’a rien fabriqué de nouveau, ses offres datent de l’année dernière. « J’ai eu la chance de les conserver car ma maison est restée intacte », explique-t-il, se souhaitant, en dépit de tout, quelques acheteurs. La saison durera encore un bon bout de temps et, même après le dimanche de Pâques il y a encore des possibilités. Tout le long de la route de Bourdon, on peut remarquer des cerfs-volants et leurs vendeurs désabusés.
Pour un étudiant en psychologie, la pratique des cerfs-volants en ces temps troublés est recommandée puisqu’il donne aux adolescents et enfants, l’impression d’une certaine normalité. « Et cela n’a pas de prix. Au lieu de rester à se remémorer les événements malheureux, ils pourront sortir d’un quotidien aussi douloureux », estime-t-il. Cependant l’état d’esprit de la population et le manque de place, vu la promiscuité dans les espaces de refuge, ne favorisent aucun optimisme en ce sens. Par Jean Panel Fanfan