Reportage gonzo au Scopitone et petite histoire bizarre.
Nuit douce à Paname. Non ce n’est pas le titre d’un roman de gare érotico-policier mais bien l’impression qui me saisit lorsque je sors du métro Pyramides. Il est 20h15. Je suis en avance. Je suis toujours en avance. Rien à voir avec mes états journalistiques. Je suis disons à cheval sur les horaires surtout quand il s’agit d’être présent à la soirée la plus hype du moment. Imaginez un DJ set avec le duo ultra buzz méga tendance de MGMT. Dit comme cela, ça a de la gueule. Ces sympathiques jouvenceaux pop s’apprêtent à étonner la planète indie avec leur deuxième opus que j’ai eu le loisir d’écouter. Pour l’heure, il est question d’affronter le barrage physico symbolique du videur, d’indiquer à l’hôtesse mon nom, en bonne place sur la liste des invités. Une fois le rituel passé avec succès, je descends l’escalier aussi tortueux que Siberian breaks et déboule dans l’espace noir confiné du Scopitone. Des couples s’épanchent sur les canapés en vagues de champagne iridescentes et en paroles dorées. L’album passe en fond sonore et la bonne société bobo de parler par-dessus comme si de rien n’était. Je file au bar, tout commence toujours par là. Le bar, c’est l’endroit clé d’une soirée. Le lieu de toutes les convoitises. Les pique-assiette sont aux aguets. Ce sont des vampires aspirant à sucer tout le fond de commerce. Logique. Légitime. Une coupe de champ’ plus tard, je suis prostré dans la nuit artificielle du club. Les mélodies dansent dans ma tête. Ma bouche est vissée, mes yeux balayent la foule comme une caméra 3D, façon aéroport sous haute surveillance. Je cherche des têtes connues, des gens à approcher et puis non je suis bien comme ça. En mode asocial. Les mondanités ne sont pas mon fort. Le mec statique, muet, ailleurs, c’est moi. Dans le contexte de cette soirée privée spéciale MGMT, cela se comprend. Les morceaux de Congratulations vous envoient dans les zones les plus reculées de la galaxie. Et en même temps, vous êtes au Scopitone, un verre à la main. La musique continue de défiler en boucle, quelques personnes esquissent sur la piste des chorégraphies absurdes, gênés qu’ils sont par le ton de la soirée : on n’est pas en boîte mais le son MGMT nous met en boîte. On a envie de faire n’importe quoi, d’être un hippie gentil mais il faut rester pro. Essayer de discerner dans ce brouhaha parisien la moindre note. Apprécier le disque dans ces conditions, un club avec deux cent personnes et des enceintes qui ne crachent que les basses, c’est comme essayer invariablement de bander dans une gigantesque partouze. Mission impossible. J’ai envie de hurler aux gens de fermer leur gueule, d’aller m’asseoir dans un pouf, de poser les pieds sur la table et de commenter les chansons, en lâchant des petits murmures d’approbation comme si j’étais seul tout. Les coupes se suivent et ne se ressemblent que trop. Champagne de très mauvaise qualité mais cette maigre prestation ne m’étant pas facturée, je vide progressivement le bar comme tous les autres invités. Parlons-en. Il faut s’arrêter sur le moindre détail inutile quand on veut maintenir l’attention du lecteur chaland. Le parterre qui s’étale sous mes yeux est globalement constitué de sacs bon chic mauvais genre, de coupes au bol et de mèches plaquées, de grosses lunettes noires à la Camélia Jordana. Moyenne d’âge : trente ans. Ça fait très open space. Tout le monde se ressemble sans vraiment se suivre. Tiens, j’ai une impression de déjà écrit, cela m’arrive souvent quand j’abuse de certaines boissons à bulles. Leurs successions dans ma tête explosent alors en constellations d’idées, impressions, sons et mots en pagaille. Une équipe vidéo des plus mobiles interviewe des groupes compacts de bobos béats. Slalomant en quête d’un scoop, la journaliste me tend le micro, si je puis m’exprimer ainsi. « Que pensez-vous de MGMT ?», me demande t-elle, hilare. « C’est le nouveau rock contemporain », lui réponds-je avec décontraction. Et d’ajouter un truc du genre « J’espère que Sony/Columbia leur finance les drogues. Si tel est le cas, c’est une excellente nouvelle pour l’avenir du groupe » ou un truc approchant. La caméra autrefois curieuse détale comme un lapin de garenne devant un chasseur aviné. Ben quoi, j’ai plombé l’ambiance ? Non, je ne pense pas. Il me semble avoir fait l’éloge de MGMT en des termes précis, ciselés et justes. Les minutes se déroulent comme la bobine d’un mauvais film, l’attente du mix paraissant interminable. Au bar, toujours les mêmes piliers mais en mode Repetto blanches pour nuit noire. Enfin, un ami vient de débarquer ! Nous discutons élégamment de la piste de danse jusqu’à la serveuse qui dans un excès de servilité assumée nous tend divers alcools tels que demandés. Slurp font les lèvres asséchées par tant de discussions sommaires mais efficaces. Puis un mec passe en flèche devant moi, s’arrête, mime la surprise : « On se connaît c’est sûr, je ne sais pas d’où mais on se connaît. Je suis Alister » me lance t-il comme s’il déclamait une tirade. Je reste coi, étonné, je lui bredouille vaguement « Tu as dû me voir à ton dernier concert. J’ai aussi écrit un papier flamboyant sur ton premier album ». Il me sourit et rejoint le bataillon d’amis cools et de jolies filles avec qui il est arrivé. Réponse pathétique. « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ?», me dis-je en moi même dans un tourbillonnant et incessant effet de répétition. Presque 23 heures me lance l’horloge numérique de mon portable. Le set devrait commencer sauf qu’aux vues de la topographie des lieux et de son entrée, je me demande d’où vont arriver Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden. Et ils en mettent du temps à arriver ! Les mains attendent de claquer pour fêter leur venue. Et finissent par retomber tout net avec leurs bras ballants parfaitement alignés sur la verticale du slim. Deux Didejés, casquettes dévissées sur cranes glabres, s’installent et commencent à caresser la foule dans le sens du poil à grands coups de beats hideux et d’enchaînements dégueu. Bon, il faut se faire une raison, cette soirée est un fiasco. Je suis ivre d’un mauvais champagne, je repars penaud sans rien à me mettre sous la dent. Pourtant les questions étaient au rendez-vous et bonnes avec ça :
Am i wrong if i say you are the West Coast Pop Art Experimental Band of the new millenium ?
Have you snorted Todd Rundgren’s A Wizard, A True Star ?
Could you tell me if the cat’s wave finally eat the surfing squirrel ?
In France, we have a traditionnal question : Which CD would you bring to a desert Island ? But i prefer to ask you Which desert island would you bring into an album ?
Ma mini interview aurait claqué sur la page html de mes ambitions bloguées sur l’indie rock du nouveau millénaire. Alors que mon esprit soliloque, Alister m’attrape par la manche et m’emmène vers d’autres cieux calfeutrés de noir. Une minute plus tard, mon cul est posé dans une limousine longue comme ma b… . La bagnole démarre dans un train d’enfer filant droit sur la pyramide du Louvre dont les faces scintillantes se réfléchissent dans l’opale blafarde de la lune. A l’intérieur, c’est un foutoir de corps bringuebalés, de bouteilles et d’âmes passées au shaker. Mon esprit lui cherche à se focaliser, faire une mise au point, Alister n’en a cure : il est trop préoccupé par le décolleté qui se trouve très exactement dans la perspective que décrit alors la ligne médiane de sa bouteille de vodka. Puis ce fut le trou noir, littéralement. Je me souviens vaguement, enfin ce sont des bribes de souvenirs, d’une voiture de police nous prenant en chasse, moi ouvrant alors la portière et dégringolant sur le trottoir humide où se reflétaient les lumières de la nuit, la limousine s’emplafonnant dans un réverbère et tout le petit équipage s’en extrayant sain et sauf, se perdant enfin dans les ténèbres d’un passage étroit, escorté de poubelles dégueulant leurs immondices.
Quelques jours plus tard, je recevais le précieux sésame, l’album délicatement emballé comme pour en préserver le secret. Il y avait en fait deux exemplaires. Coooool, murmura le geek qui sommeillait en moi. Un courrier complétait le pli. Et racontait le pourquoi du double envoi. On devait gratter la vague sur la pochette qui, à la manière de la banane du premier Velvet, réservait une surprenante découverte. Je pouvais gratter un disque et me garder le deuxième afin d’enrichir ma collection très particulière. Re coooool, hurla le nerd qui s’était réveillé en moi. Un brin surexcité, je n’en n’oublie pas de déballer le tout et de poser la galette numérique sur la langue tendue par mon lecteur CD Yamaha. Qui l’avale aussitôt comme un buvard. Explosion droguée d’une musique résolument baroque. Yeah. J’aime ça. J’aime d’autant plus cette démarche que le morceau ne sonne pas revival. Disons que le psychédélisme est ici traité avec la modernité que l’on sait, celle dont s’était déjà habillé le groupe dans son précédent opus. Mais là où Oracular Spectacular sonnait seventies avec des touches électro propres à pousser le cul des filles sur les dance floors, Congratulations explorait l’héritage sixties. Bien. Mon doigt s’agite alors me rappelant à ma captivante mission : découvrir ce qui se cache sous la pellicule de la pochette. Je gratte fébrilement et sous mes yeux s’affiche une combinaison de chiffres. Mystère et bubble-gum. L’album emplit l’espace en un puissant amalgame de basse, de claviers vrombissants, de guitares étincelantes et de percussions folles. It's Working marche avec sa construction pyramidale en strates de chœurs et en nappes d’orgue, de clavecin, scandée par une batterie prussienne traduisant l’accélération du système cardiaque quand le sang irrigué de drogues diverses irradie l’ensemble du système nerveux et autres réseaux du corps humain. Du pur Michel-Ange. Les chiffres eux ne me disent rien. Je cogite grave. Song For Dan Treacy gambade dans ma tête, il s’agit du leader des TV Personalities dont les quelques albums eurent le bon goût de revisiter le Carnaby Street des années soixante. Que veut bien dire cette combinaison ? Numéro de série ? Latitude et longitude ? Quelque chose me manque… Ah ouais, c’est Someone's Missing qui déboule dans mes baffles. Lenteur hiératique des claviers instaurant une ambiance de planerie instantanée, puis la fuzz gronde, ce qui me fit songer un moment à l’impression qui saisit les hébreux d’antan lorsque résonnèrent les fameuses trompettes de Jéricho. Les claviers se déplient alors comme des tapis volant faisant décoller le morceau vers des cimes radieuses. Mais je fus ramené sur terre par le mystère qui se cachait sur la pochette. Etais-je le seul à posséder ces chiffres ? Avais-je la berlue ? La musique produisait-elle un effet sur mon système sensoriel au point de tromper ma vision éclaire ? Toutes ces phrases se répétaient en boucle comme un mantra brooklynien. Flash Delirium vient de s’achever, bon on s’en branle, j’ai déjà eu l’occasion d’écrire au sujet de ce morceau et je ne suis pas du genre à yoyoter. I Found A Whistle hulule une mélodie en apesanteur, du genre farfisa trafiqué ou un truc comme ça. On navigue dans le bucolique, Siddhârta n’est pas très loin et Bouddha ne boude pas son plaisir. On songe à un hymne préraphaélite, les oiseaux déploient leurs ailes de part et d’autre d’un arc-en-ciel badigeonné juste pour compléter le tableau. Je regardais à nouveau la pochette codée. Son esthétique Tex Avery sous amphét’ s’imposait comme le seul horizon visuel tapissant les quatre murs de mon salon, comme si l’on m’avait filmé sur fond vert pour m’incruster ensuite dans je ne sais quelle rêverie cartoonesque. Les breaks sibériens viennent d’entamer leurs canons galopant, ce morceau aux mille et une facettes se veut une savante construction d’instantanés, de bouts rimés mélodiques, une sorte de cadavre exquis sonore. Ouais. Siberian Breaks, ça déplie l’espace ! 12 minutes et 10 secondes, mec, qui oserait cela en 2010 ? Pas même les longues quilles lugubres de The Horrors. Les synthés sonnent comme les symphonies de Genesis, putain, du prog du troisième millénaire, qui l’eut cru ? Les saynètes soniques s’enchaînent, détaillant avec minutie toute l’histoire du rock, des Beatles à Depeche Mode, de Kraftwerk à Broadcast le tout finissant comme les boucles synthétiques de Out-Bloody-Rageous de Soft Machine. Puis, j’eus une sorte de flash délirant, une révélation fumeuse, enfin on va plutôt dire un réflexe intellectuel : et si je tapais cette succession numéraire dans Google ? Pas con. Brian Eno, la chanson, pas le blond robotique, éclate dans les enceintes. Son côté rockabilly psyché bourdonnant m’enveloppe progressivement dans un manteau d’extase violente, refrain évident, chœurs déjantés, un brin enfantins mais en mode galopins. Alors que Lady Dada's Nightmare entamait ses 4 minutes et 31 secondes d’instrumental stellaire, style mise en orbite kubrickienne, je saisissais la suite codée dans mon moteur de recherche geek préféré. La symphonie électronique était de toute beauté. A peine avais-je trouvé un premier indice, un lien vers un obscur forum, que le morceau sombrait dans la démence des bandes sons que Goblin signait en cascade (de cris et de sang) pour Dario Argento. J’arrivais sur la page en question, les lignes défilaient sous mes yeux et mes doigts, les commentaires se la jouaient prospective rock : beaucoup comme moi s’interrogeaient sur cette interminable formule qui semblait inextricable par sa complexité mathématique. Une thèse fut avancée par un certain « geek75 ». L’anonyme sobriquet se lançait dans une explication qui aussitôt attira mon attention. Il s’agissait pour lui des coordonnées complètes d’un voyage dont il ne connaissait ni le point de départ ni l’issue, encore moins le moyen. Je sombrais dans une profonde et épaisse réflexion. Puis, illuminé par l’une de mes nombreuses intuitions, je tapotais les premiers chiffres sur un site de transport ferroviaire bien connu. Bingo, il s’agissait du numéro d’un train à fort grande vitesse en direction de Londres. Logique. Nos deux musiciens n’avaient pas arrêté de faire allusion à l’Angleterre des Beatles dans les 44 minutes que comptait le disque. Les chiffres suivant devaient répondre à la même logique. Et me renseigner sur l’heure et le lieu du périple que j’allais sans doute entreprendre. En cherchant pendant de bien longues minutes, je finis par trouver un jour, une heure et une adresse. Le code postal ainsi décrypté me confirmait bien la destination : London Calling !!!! Félicitations, criais-je dans le calme de mon intérieur bourgeois. Et ce n’était pas seulement en raison de la dernière chanson, Congratulations, ultime titre en forme de ballade apaisante où les claviers analogiques tissaient de paisibles prairies sonores sous leurs fontaines de jouvence pop. Le jour venu, ayant bouclé mes valises en prévision d’un long et tumultueux week-end, je prenais le chemin de la gare, montais dans mon train. Au bout de quelques minutes, après m’être lourdement installé dans le confort moelleux de mon siège de classe 1ère, le train s’arracha à l’inertie mécanique qui le maintenait à quai puis s’engagea dans une course contre la montre pour rejoindre le centre de Londres : le centre du monde. Pendant ce court instant, véhiculé de la sorte, je reprenais les choses à zéro en me repassant Congratulations dans les esgourdes. Ouah, au fil des écoutes, les morceaux révélaient leurs saveurs, complexes et suaves. Il ne fallait pas plus de 9 chansons pour produire une suite digne du premier opus. J’aimais cet état d’esprit. Ben et Andrew sont du genre bêtes de studio, savants fous de cet héritage qu’ils distillent ainsi dans l’éprouvette de leur vision résolument contemporaine. Ces mecs sont des petits génies, ils affichent de telles facilités que je m’en étonnais moi-même, mimant la jouissance que je ressentais face à des voisins de place un tantinet effarés. Le panneau London St Pancras International stoppa net devant mon hublot délicatement rectangulaire : l’issue était proche ! Mon moleskine à la main, marqué à la page où le code était traduit avec force détails, je me précipitais vers mon destin. Longues minutes de métro. INTERMINABLES. Je me retrouvais dans ces rues qui font la singularité de la capitale britannique. Une route desservant un large périmètre à la géométrie parfaite avec de tous les côtés des maisons victoriennes aux escaliers blancs et aux portes cochères en bois peint. Je m’arrête à un numéro, il correspond à celui indiqué dans mon carnet. La peur me saisit, ponctuée de petits tremblements de joie. Je frappe fébrilement à la porte. J’entends des pas. Une voix. Imaginez ma surprise quand je vis surgir la tête de Brian Eno.
http://www.myspace.com/mgmt
http://www.whoismgmt.com/
http://www.youtube.com/user/mgmtmusic?blend=1&ob=4
06-04-2010 |
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