Loque vient de paraître aux éditions fissile (animées
par Cédric Demangeot). Il me touche par sa fragilité constante, sa prise de
distance, par la démystification à l'œuvre qui est une marque de confiance
malgré tout dans la langue, les mots. C'est ce malgré tout qui me plaît.
Aussi il y a une sorte d'ébullition permanente qui frémit. On est dedans, on en
sort, on y rentre à nouveau, et avec une effervescence : allusions, références,
jeux de miroir dans lesquels on plonge, on croit reconnaître... le doute
s'installe sur ce texte dont la ligne noire de base est sans cesse activée tout
en la laissant agir comme lame de fond. C’est en quelque sorte un tremblement
qui secoue les langues, les repères, appâte le lecteur, l’entraîne sur un
terrain comme reconnu, commun, puis le perd, l’aveugle et lui dit de tenir le
mât sur ce bateau qui croise tout près des sirènes. Et si ce n’était pas en
fait l’acte même de lire ?
Mais est-ce simple virtuosité ? Non . Dominique Quélen dans ce livre
au long cours, sans respiration autre que le décrochage, l’aparté, la
digression, nous fait sentir le ce qui reste d’un corps à corps fantôme
entre le monde (extérieur/ intérieur, c’est tout un) et la possibilité d’une quelconque
parole fluide, continue, si ce n’est dans le leurre de sa propre continuité.
C’est une sorte de spirale qu’aspire le trou noir qui ne peut être dit. Alors,
avec un humour à la Satie, il nous guide, Quélen, et nous laisse en question.
Qui vient hanter nos mots, et nous fait croire qu’on vit, qu’on peut vivre
vraiment quand on sait ?
par François Rannou
Loque, avec des dessins de Tristan Bastit
éditions Fissile, 2010
152 p.
18 €