il y a un travail du négatif à faire, une
tâche
pour
l’intellect au profit de l’élan du cœur
Yves
Bonnefoy
II
Hier soir j’ai croisé les concepts
pèlerins des lumières éteintes
la bêche à l’épaule ils allaient
creuser des courants d’air pour leurs taupes
et chercher de quoi rebâtir
à grand renfort d’à peu près
la caserne des certitudes
où l’uniforme à la parade
tient toujours l’aventure en lisière
la vraie l’unique celle
qui prend de court les pensées
quand le vent soulève les tuiles
renverse les ombres dans l’âtre
et hurle que le poème est précaire
mais qu’il possède le pouvoir
de faire et de défaire ce qui est
sans pitié pour ce qui n’est pas
et que les yeux clos il peut dire
les mots écrits dessous la pierre
dans une langue aux racines du feu
•
III
Nul ne peut expliquer pourquoi
le dernier arbre au bord du précipice
a cette étrange forme double
qui semble vouloir retenir quelqu’un
de tomber dans la pente invisible
or il n’y a personne
absolument personne
alentour ni à l’horizon
aucun poids non plus pour jouer
le rôle de la chute
c’est dans le même silence
au zénith à midi ou la nuit
échevelé de tremblantes étoiles
que l’arbre est là et qu’il paraît veiller
sur quelqu’un qui ne viendra pas
à qui peut-être on a dit : « prenez garde !
attendant depuis trop longtemps
cet arbre mort ne saurait plus
empêcher son seul fruit de tomber »
•
XIX
Le point du soir sert-il à autre chose
qu’à réfuter la preuve du matin ?
Je suis entraîné par le doute
vers l’instant qui me manque
je n’ai d’appui que sur le vide
d’heure en heure un obstacle m’épie
la nuit m’inocule des ombres
désignant un pays là-bas
mais l’exil va toujours plus vite
et plus loin dans un paysage
exposé à la soif de se perdre
qu’en moi l’inaccompli regarde
entonner la deuxième symphonie
par le surnaturel hymne final
et respirer ce que Mahler
de son pas orchestrant les montagnes
foula sur cette cime d’eaux vives
qui donnaient une source à la pente
François Montmaneix, « Peintures noires », L’Abîme horizontal, La Différence, 2008, pp. 32, 33 et 49
Bio-bibliographie
de François Montmaneix
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