Drôle de journée le 30 mars dernier pour les employés de l'usine Schneider de Merpins lorsqu'ils ont appris que leur usine allait fermer en 2012 pour que leur activité soit transférée sur le site d'Angoulême (Isle d'Espagnac)... Coup dur, difficile à accepter et à comprendre. Pendant ce temps il pleuvait...
Sous le choc, l'incompréhension et la colère les ouvriers se réunissent et bloquent les entrées de l'usine en fin de matinée. Par solidarité les autres usines de Charente (Les Agriers et l'Isle d'Espagnac) débrayent ou bloquent à leur tour leur entreprise.
Certes depuis quelques mois la rumeur circulait et inquiétait mais très peu imaginaient que le site de Merpins pourrait être concerné. Celui-ci a reçu la première place du classement SPS Schneider Europe, devenant ainsi le site de référence au niveau de la productivité... Un système de climatisation venait juste d'être installé (un investissement de 800 000 euros).
Si le groupe indique que les 206 employés de Merpins seront intégralement transférés à Espagnac de manière progressive de 2011 à 2012, l'inquiétude reste au niveaux des emplois. Ce genre de transfert pour "mutualiser" et "rationaliser" aboutit à chaque fois à des suppressions d'emplois ; de même un tel transfert va provoquer des abandons, tout le monde ne suivra pas, certains refuseront d'aller travailler à plus de 60 km, notamment ceux qui habitent coté Charente-Maritime et auront 2 heures de voyages aller-retour... Généralement dans ce genre de situation, c'est environ 25% des emplois qui "disparaissent".
Les ouvriers de l'usine sont désabusés, après des mois d'efforts pour maintenir l'usine à flot face à la crise (décalage des vacances, abandon de RTT, souplesses supplémentaires, chômage technique...) et alors que les choses semblaient reprendre normalement cette annonce est vécue comme un coup d'épée dans le dos.
Mardi l'activité reprendra, après 3 jours de blocage, tant bien que mal dans une ambiance qui sera difficile pendant les 18 à 24 mois prochains...
Schneider Electric
Schneider Electric est un groupe industriel français à dimension internationale qui fabrique des produits pour le marché de l'électricité (résidentiel, industriel, bâtiment, énergie et infrastructure).
Le groupe a des usines dans 190 pays (120 000 employés) et est coté en bourse sur le marché NYSE Euronext et fait partie de l'indice Français CAC 40.
L'usine de Merpins appartenait initialement à Télémécanique, racheté en 1988 par Schneider Electric. Cette usine a été fondée en 1979 et réalise la fabrication de boutons électriques pour l'industrie. Beaucoup des employés y travaillent depuis l'ouverture (30 ans), certains en famille (le coup en est d'autant plus dur). 50% ont plus de 55 ans.
Plan "One" (détruire l'usine la plus productive)
Jean-Pascal Tricoire (PDG du groupe) avait lancé quelques mois plutôt le "Plan One" (successeur du plan "New2") visant à rendre plus efficient le groupe en réalisant des économies afin de maintenir les bénéfices au plus haut. En effet si le groupe réalise encore de très juteux bénéfices ceux-ci sont en baisse en 2009, pour réduire l'inquiétude des actionnaires, le groupe vise une optimisation via le plan "One".
Ce plan est succintement décrit dans la lettre aux actionnaires n°31 (mars 2009) : "la productivité industrielle : capitaliser sur la solide expérience du Groupe en la matière pour améliorer la productivité de sa chaîne d’approvisionnement, afin de dégager des économies cumulées brutes de 600 à 800 millions d’euros sur trois ans."
La fermeture de Merpins et le transfert d'activité à Espagnac devant permettre de participer à ce plan à hauteur de 5 000 000 d'euros d'économie par an (0,6% du plan One), sans plus de précision de la direction (ni sur les moyens, ni sur les coûts de transferts ou la durée de la mutation)...
Les sites de Mastertech et Newlog en Isère, de Prodipact en Savoie, de Barentin et Le Vaudreuil en Normandie et d'Alès dans le Gard seraient aussi touchés par cette réorganisation. Ainsi Prodipact pourrait rejoindre les Agriers en Charente (65 postes). Espagnac pourrait perdre 56 postes dès cette année (sous-traitance de l'activité Zamac-peinture) avant de recevoir l'unité de Merpins de 2011 à 2012.
Le situation semble ainsi très paradoxale : le plan "One" ayant pour objectif de "maintenir la rentabilité et d'améliorer la productivité" ; fermer l'usine qui a la meilleure productivité en Europe et dans laquelle le groupe vient de terminer un investissement de 800 000 euros ne semble pas d'une grande cohérence... On frise même tout simplement le délire. On ne peut pourtant pas imaginer que Jean-Pascal Tricoire soit un débutant, ni un psychopathe, il doit y avoir une explication plus rationnelle derrière le plan "One".
L'usine d'Espagnac est appelé "le mouroir" par les employés de Schneider Electric, car ce n'est pas la première fois qu'une unité de production y est transférée et souvent ça c'est très mal passé... De l'aveu même des dirigeants la reprise d'activité prendra probablement 2 ans...
De là à imaginer (de manière quasi paranoïaque je vous l'accorde) que le groupe cherche délibérément (mais discrètement) à réduire la productivité de son activité industrielle il n'y a qu'un pas que la raison ne saurait franchir... Pourtant le plan "One" fait partie d'une stratégie globale qui vise à mettre en avant l'activité "services" du groupe qui désire vendre désormais des "solutions" et non plus des produits...
Car si la logique immédiate (rentabilité) semble difficile pour expliquer un tel transfert, il ne peut y avoir qu'une "autre" stratégie derrière pour l'expliquer. Et cette stratégie pourrait être de petit à petit se débarrasser de la production (fabrication des produits) au profit de sous-traitants ou filiales à l'étranger pour ne maintenir sur les marchés riches que des services à fortes valeurs ajoutées (les "solutions").
De là on imagine qu'un tel transfert pourrait servir a détruire la productivité afin de mieux pouvoir délocaliser encore plus à l'est dans les prochaines années...
Mais il ne s'agit, bien sûr, que d'imagination puisque la réalité c'est "améliorer la productivité" en désorganisant l'unité de production qui a les meilleurs résultats d'Europe ("capitaliser sur la solide expérience" ?).
Cruelle réalité financière (petite visite du libéralisme)
Pendant que l'on annonçait aux 206 employés de Merpins leur délocalisation : "Schneider Electric a pris la tête du palmarès SRD à Paris en matinée, sur un gain de 2,25% à 87,55 euros, après que JP Morgan eut relevé à "surpondérer" sa recommandation sur le dossier, avec une valorisation portée de 93 à 100 euros. Le courtier voit du potentiel à long terme et insiste sur une performance boursière inférieure à celle de ses paris en 2010, conférant un point d'entrée intéressant" (boursier.com le 31/03/2010) Le groupe a réalisé en 2009 un chiffre d'affaire de 15 793 000 000 d'euros (en légère baisse sur 2008, année record) et dégagé un bénéfice net de 852 000 000 euros (en baisse de 50%), soit 3,43 euros par action dont 2,05 euros par action seront reversés aux actionnaires. Le reste (1,38 euros par action) est réinvestit dans le groupe. L'action du groupe est resté en constante hausse en 2009, indiquant la "confiance" du marché. Voir les résultats 2009 du groupe pour plus de détails.
La nébuleuse financière a répondu favorablement à l'annonce de restructuration (le cours de l'action Schneider ayant bondi suite à cette annonce, voir encart ci-contre).
Depuis quelques années, comme toutes les grandes sociétés, le groupe propose aux employés (renommés collaborateurs) des prises de participations dans la société ; transformant ceux-ci en (petit) actionnaires. C'est désormais au nom des actionnaires (pour conserver un gain par action satisfaisant) qu'est justifiée la restructuration "plan One" et c'est donc (sans leur consentement) en leur propre nom qu'est justifiée leur relocalisation : de quoi devenir schizophrène.
La direction de Schneider a d'or et déjà refusé l'éventualité d'organiser un transport collectif entre Merpins et Espagnac, estimant que si il y a quelque chose à faire c'est à la collectivité locale de le faire... En gros le groupe Schneider refuse toute responsabilité et contraintes et n'hésite pas à demander à la collectivité de faire face aux effets collatéraux de sa restructuration ; cela ressemble aux banquiers responsables de la crise actuelle qui ont accepté l'aide gratuite et sans contrainte des états pour ensuite organiser leur redressement en détruisant l'économie Grecque et Islandaise, laissant les états (nos impôts) éponger une deuxième fois leurs déchets... Schneider fait de même en détruisant des familles et pointant nos impôts (déjà touchés par leur départ) comme possibilité d'aide...
Le classique refus de l'économie libérale de payer des impôts mais n'hésitant pas à utiliser (et appeler) les aides publiques.
Difficultés locales (retour à la réalité)
A l'échelle du groupe Schneider il s'agit d'une "restructuration" (euphémisme du vocabulaire libéral) ; à l'échelle locale c'est un véritable tsunami.
Pour les employés en premier bien sûr, qui prennent le coup en pleine poire et vont vivre dans une précarité et de multiples inquiétudes pendant 2 ans. Pour la communauté de communes qui va perdre un des plus gros employeurs privés, 206 emplois, soit 0,6% des habitants de la communauté de communes de Cognac. Un tel choc va toucher par rebond de nombreux sous-traitants locaux qui travaillent avec l'usine et impacter négativement encore plus l'économie locale.
Des familles vont devoir faire des choix cruels, lorsque le mari et la femme travaillent à Schneider. Faudra-t-il déménager sur Angoulême alors que l'on a pas fini de payer le crédit ? Faudra-t-il faire tous les jours des aller-retours de plusieurs heures avec des horaires décalés ou l'on pourra se dire bonjour en se croisant à Jarnac ? Faudra-t-il que l'un des 2 démissionne pour tenter de trouver un travail plus près dans une situation économique difficile ?
Certains habitent en Charente-Maritime limitrophe et l'un travaille à Merpins mais l'autre à Saintes ou Tonnay-Charente, quel choix pourront-ils faire ?
La moitié du personnel a plus de 50 ans, comment envisager la relocalisation obligée dans ces conditions ?
Autant de drames personnels que Jean-Pascal Tricoire ne verra pas, préférant probablement partir en voyage "hors des sentiers battus" comme l'indique sa biographie ou finaliser l'absorption de la branche Transmission et Distribution d'Areva.
Comment vont pouvoir gérer ces centaines de familles les difficultés à venir, le plan "One" les a abandonnés et va bientôt les oublier.
C'est à nous tous, à notre échelle, de soutenir ces familles que nous connaissons tous dans cette épreuve difficile qui durera 2 ans pour ne pas les oublier et à soutenir leurs actions à venir.
Liens
- Reportage vidéo de France 3 sur le site de Merpins (1/04/2010)
- Reportage vidéo "Prête moi ta caméra, mon usine ferme" réalisé par Stéphanie Hammou en 2009 sur la fermeture d'une usine de confection dans le Nord.
Le reportage (en 6 épisodes de 5 minutes) mèle des images réalisées par les ouvrières pendant les derniers jours avant la fermeture définitive et des interviews.
- épisode 1, épisode 2 et épisode 3 (à suivre)
- Jonathan Munoz réagit sur son blog à l'annonce de la fermeture de Schneider Merpins :
- 31/03/2010 : Schneider ne doit pas délocaliser
- 2/04/2010 : Le combat continue