Le tableau enchanté

Publié le 05 avril 2010 par Desiderio

Parmi les plus belles séries publiées par Spirou, on peut compter Isabelle. La couverture que je donne n'est pas celle d'origine. Il s'agit de celle qui a été réalisée lorsque la série a changé d'orientation à partir des Maléfices de l'oncle Hermès (tome 3 en 1978, prépublication en 1975), lorsque Franquin est venu assister Delporte au scénario et que la série s'est fixée sur la lutte contre la très méchante Kalendula à ne pas confondre avec la gentille Calendula, fiancée de l'oncle Hermès, un sorcier à pieds de bouc.

En fait, si Isabelle disparaît ne disparaît pas de la série, le monde des sorciers prend de  plus en plus d'importance et nous passons fréquemment d'un univers à l'autre. C'est pourquoi dans le bandeau, nous avons en fait une vignette en oreille de Calendula (la gentille sorcière) alors que l'héroïne est censée être la petite Isabelle que l'on voit en couverture.

Au départ, l'histoire commence dans le quotidien le plus ordinaire et sous le mode de la fable. Nous avons un personnage sans aucune histoire durant sa vie, il ne s'est jamais préoccupé des autres et s'il n'a jamais commis une mauvaise action, il n'a jamais non plus bien agi. Pour ces raisons, il est enfermé dans un tableau qui représente sa demeure et il est réduit à une taille minuscule jusqu'à ce qu'il se rachète de son indifférence. Bien sûr, il peut s'échapper si on le regarde comme le fait Isabelle. Celle-ci a décidé d'acheter un tableau chez un antiquaire pour l'accrocher dans sa chambre.  Nous avons là une métaphore de la bande dessinée comme telle : il s'agit d'abord d'une question de regard, c'est par le regard d'Isabelle que le bonhomme sort de l'image, et puis bien sûr de lutte pour faire le bien (mais justement quand on croit faire le bien, on peut commettre aussi le mal comme le prouve l'histoire).

L'histoire préfigure certes la Rose pourpre du Caire, mais elle s'inscrit déjà dans une longue série où les personnages sortent du cadre dans lequel ils ont été dessinés ou représentés. Je crois que c'est aussi vieux que la bande dessinée elle-même, cela remonte au moins à Little Nemo et peut-être même à Töppfer. Il y a une volonté de la part de beaucoup d'auteurs à ne pas se laisser enfermer dans une case et la métaphore du personnage qui sort du cadre est aussi celle de l'auteur. 

Quand on prend cette couverture, on est d'abord saisi par l'atmosphère rurale d'un petit bourg (sa place centrale, ss statue remarquable, ses commerces si ordinaires, ses oiseaux peu farouches). Cela s'oppose aux albums de la suite qui sont vraiment tourmentés et fantastiques : ici ce n'est que le merveilleux dans son aspect quotidien le plus ordinaire. Au départ, la série était assez mal partie. Après une publication en revue en 1970, elle avait fait l'objet d'un album dans une collection bon marché des éditions Dupuis en 1972 (volume broché, pagination réduite, couleurs infectes). Ce n'est qu'après, lorsque le monde des sorciers est apparu et que Franquin soit entré en scène que l'on a commencé à l'éditer un peu sérieusement. Mais tout commence ainsi : regarder. Ursule, la tante d'Isabelle ne voit pas ce qu'elle peut remarquer et elle est hors de son monde.