A la vitesse de la lumiere

Publié le 03 mai 2007 par Lorraine De Chezlo
de Javier Cercas
Traduction : Elisabeth Beyer - Aleksandar Grujicic
Roman - 285 pages
Editions Actes Sud - septembre 2006
Un jeune écrivain fait la connaissance, dans une université américaine, de Rodney, un type froid, seul, assez hautain. Possiblement intéressant. Mais Rodney ne s'ouvre pas facilement, repousse sans tact les intrusions et les certitudes des autres. Il ne dit pas qu'il est vétéran de la guerre du Viêtnam et combien il en souffre encore. Leurs chemins vont se séparer, il connaîtront l'équilibre et le succès avant que la culpabilité et la déchéance ne les obligent à se retrouver des années plus tard. Pour se sauver s'il n'est pas trop tard...
L'écriture est le seul moyen de témoigner de toutes les douleurs tues, celles dont on ne peut parler linéairement tant elles sont inavouables, irracontables. A la vitesse de la lumière parle de cette difficulté de vivre l'esprit assombri par les souvenirs douloureux. Et d'une soif de pouvoir qui aveugle, précipitant à leur perte nos deux protagonistes, avant de les transformer, à des époques différentes, en monstres de culpabilité.
Au risque de nous perdre dans un dédale psychologique, les phrases de Javier Cercas sont longues comme des pensées, comme des questions, comme les réflexions que chacun peut avoir à l'égard de son propre comportement et de celui de ses semblables. Son style est froid et m'a rappelé l'hermétisme de Philip Roth.
Extrait :
"Pendant une seconde, je me le suis rappelé assis sur le banc en train d'observer les enfants qui jouaient avec le frisbee et j'ai cru qu'il pleurait, ou plus précisément, j'ai eu la certitude qu'il pleurait mais, à la seconde suivante, j'ai cru qu'il ne faisait en réalité qu'observer la nuit d'une manière très étrange, comme s'il voyait en elle ce que je pouvais voir, comme s'il regardait un insecte énorme ou un miroir déformant, et j'ai ensuite pensé que non, qu'en réalité il regardait la nuit comme s'il était sur le bord d'un précipice très noir et que personne n'avait autant le vertige ni autant peur que lui et, soudain, pendant que je pensais cela, je me suis rendu compte que le ressentiment que j'avais accumulé contre Rodney tout au long de la semaine s'était dissipé, peut-être parce qu'à ce moment précis j'ai cru comprendre pourquoi il n'assistait jamais aux réunions ni aux soirées mais pourquoi il avait asisté à celle-là."
Mais, au fil des pages, le réalisme assourdissant des caractères des personnages ne laisse pas d'autre choix que de lire ce roman dans le roman comme le journal réel de l'auteur lui-même. Et l'on plonge. De même, le narrateur fait la connaissance de ce Rodney, homme atypique, énigmatique, très seul et assez misanthrope au premier abord. Leur amitié est à la fois évidente et improbable. Attrait et répulsion. Une fois le lien établi, difficile d'oublier, d'effacer, de ne pas poursuivre car l'autre est peut-être la seule personne en laquelle on peut se voir.
Ce livre marque son lecteur comme il peut sauver l'écrivain. [merci Ram's !]

L'avis de Papillon - Journal d'une lectrice