Durant l’hiver alors qu’il reprenait tout juste l’entraînement, le suisse Fabien Cancellara n’avait pas caché ses intentions en déclarant vouloir accrocher à son palmarès cette saison Le Tour des Flandres. Cancellara, à cette occasion avait insisté sur le caractère particulier de cette épreuve. « Un monument, avait-il dit, ou la difficulté sportive se produit au sein d’une population particulièrement enthousiaste et reconnaissante envers les efforts produits par les acteurs ».
Depuis cet hiver, Cancellara ne pensait qu’au Tour des Flandres ...
C’était sa huitième participation à l’épreuve avec peu de résultats. Juste une sixième place en 2006. Mais le champion suisse n’avait cure de ces considérations. A maintes reprises, il a reconnu la parcours qui avait été modifié pour donner encore plus de vigueur à la course avec deux terribles enchaînements Vieux-Kwaremont, Paterberg et Koppenberg à 70 kilomètres de l’arrivée puis Leberg, Berendries et Tenbosh à 26 kilomètres de la ligne. Cancellara avait en outre triomphé dans le Grand Prix E.3, véritable répétition du Ronde en disposant du champion de Belgique Tom Boonen, il y a tout juste huit jours.
Pour être le premier suisse à l’emporter depuis Henri Suter en 1923, c’était il y a 87 ans, Cancellara a utilisé la manière forte. Peu après avoir changé de machine, sans doute pour adopter des pneumatiques ayant plus de pression qu’auparavant, Cancellara a porté son attaque dans la rude ascension de Berendries, à 44 kilomètres de l’arrivée. Berendries, c’est un de ces 17 « berg » long de 940 mètres avec un pourcentage de 7 % à son début puis de 12 % pour finir. Il s’est alors extrait du groupe de 40 coureurs qui ouvrait la route et seul Tom Boonen a pu prendre sa roue. Boonen n’a pas pris tout de suite le relais de Cancellara, sans doute fatigué par l’effort fourni pour suivre le suisse. Boonen a-t-il eu raison de vouloir suivre Cancellara à cet instant de la course ? On peut toujours en discuter étant donné que le belge disposait alors de deux équipiers Devolder et Wynants mais Boonen auquel rien n’échappe avait du voir comme beaucoup combien le coup de pédale de Cancellara était efficace et puissant. D’ailleurs, dans les derniers hectomètres du Mur de Grammont, à la hauteur de la Rue du Cloître, devant la petite chapelle Notre Dame, là ou la pente est la plus forte – 20 % - ce n’est pas le suisse qui a accéléré mais le belge qui a fléchi. Cancellara, à 15 kilomètres de l’arrivée se trouvait alors seul en tête. Il n’avait plus qu’à faire fonctionner la superbe machine à rouler qu’il possède pour aller quérir la victoire qu’il espérait depuis de longs mois. Boonen, déjà deux fois vainqueur du Ronde ne pouvait plus obtenir que la deuxième place, ce qu’il fit avec panache.
Sur le plan sportif, la victoire de Cancellara marquera l’histoire de l’épreuve même si ce n’est pas un flamand qui l’emporte. Son autorité, sa maîtrise ont fait merveille. Cette lucidité dans la façon de mener sa course à la victoire est à montrer dans toutes les écoles de cyclisme. Par sa volonté, Fabien Cancellara nous a fait penser à plusieurs reprises à Bernard Hinault ou à Eddy Merckx lorsqu’ils mettaient tout en œuvre pour remporter un succès d’envergure.
Incontestablement, Cancellara réalise l’exploit du week-end, tous sports confondus
Cancellara avait dit avant le départ sur la Grand-Place de Bruges qu’il était plein d’humilité envers le Ronde. Il en connaissait les pièges, ne redoutait que la crevaison ou la chute et surtout n’avait aucune appréhension quant à sa valeur physique. Son seul souhait était de bénéficier du petit coup de pouce de la chance qui bien souvent accompagne les plus belles victoires. Il n’a subi aucune crevaison, n’est pas tombé parce que toujours bien placé et son changement de vélo ne fut qu’une simple anecdote.
De plus, il s’est montré humain. Pour faire participer les spectateurs à sa joie, il a montré à la caméra, à 1500 m de l’arrivée, avec un grand sourire une petite figurine qu’il a sorti de la poche de son maillot avant de saisir à 250 m de la ligne un drapeau suisse tendu par un spectateur et de le brandir de la main droite en terminant en vainqueur cette éprouvante épreuve.
Et les coureurs français ? On a senti chez beaucoup d’entre eux un désir de bien faire. Ils étaient dix – ils n’étaient que 29 au départ - dans le groupe de tête dont se sont extraits Cancellara et Boonen. On a beaucoup vu Steve Chainel et William Bonnet, le premier d’entre eux obtient dans ce contexte une très méritoire dixième place.
Les organisateurs peuvent être heureux. Le nouveau parcours a donné satisfaction. Cancellara et Boonen ont rendu la course palpitante. Le temps exécrable au départ – grosse averse à Bruges – s’est transformé grâce au vent qui a asséché les sentes pavées rendant ainsi la course moins soumise aux aléas d’une route humide. Quant au succès populaire, il ne se dément pas. La gendarmerie locale a estimé à UN million le nombre de spectateurs sur le bord des routes empruntées par le Ronde.
Le cyclisme si malmené ces dernières années par ses tricheurs a besoin de telles courses et de tels acteurs pour maintenir l’affection du public.
Paris-Roubaix, dimanche prochain doit nous donner la même amplitude de joie.
Jean-Paul