Mieux vaudrait, en l’occurrence, que les enseignants, en dialogue avec les élèves et les parents citoyens, définissent eux-mêmes les grandes lignes de ce qu’il faudrait mettre en place, plutôt que de passer leur temps à protester contre des réformes imposées par des bureaucrates au service de soit-disant intérêts, en fait à la remorque d’un « court-termisme » qui conduit l’humanité et notre profession à des désastres.
Je souhaite faire partager à tous cette idée qui s’est imposée à moi il y a exactement 25 ans, au moment du début du Minitel.
Pourquoi cette conviction?
- Nous vivons une époque de grandes mutations difficilement contestables, comparables à l’irruption du néolithique, dans un temps beaucoup plus court, même si certains d’entre nous peuvent continuer de rêver à un âge d’or qui, comme le paradis perdu, n’a jamais existé.
- Les savoirs du monde, sous des formes multimédias de qualité, sont quasiment accessibles à tous pour un coût ridiculement bas. Les générations qui arrivent sont nourries à cela dès leur plus tendre enfance et trouvent en face d’eux, à l’école, des formes d’enseignement datant d’un monde en passe d’être révolu.
- Comme le dit Frédéric Martel dans « Mainstream » (qui désigne la culture partagée américano « googoolesque ») : la guerre mondiale de la culture populaire est déclarée.
- La bataille des pays émergents pour participer au festin, ainsi que le développement trop rapide d’un argent factice rend la compétition plus aride (les ingénieurs français sont aussi menacés) et donc l’ espérance de trouver du travail est fragilisée.
- L’idée, datant des années 80, de mettre « l’enfant au centre du dispositif » va à l’encontre de la notion de classe qui articule toujours nos établissements scolaires.Le prof tout seul devant sa classe (qui était aussi un mythe parce qu’il a toujours été soumis à de fortes injonctions) est donc une sinistre plaisanterie qui nous coûte très très cher au nom d’une soit-disant liberté pédagogique qui ressemble de plus en plus à celle du renard devant le poulailler. Elle nous oblige à repenser le groupe.
Tous ceci débouche sur des pathologies qui nous laissent sans réponse. Nous ferions mille fois mieux d’interpréter les dysfonctionnements que nous constatons, comme autant de signes devant nous pousser à évoluer plutôt que de désigner des boucs émissaires.
Mais, bien sûr, chacun est libre de contester tout ce que j’énonce, de vouloir restaurer l’autorité du prof, de se concentrer sur son cœur de métier. Je lui souhaite beaucoup de courage et beaucoup de réussites.
Que pourrions nous faire face à un tel constat ?
- D’abord se calmer, parce que la tempête est vraiment sérieuse, et prendre du temps entre nous pour détricoter les résistances à admettre ce qui se passe.
- Puis réaffirmer nos valeurs communes.
- Enfin apprendre à dialoguer sur nos différences pour élaborer des modes d’intervention communes et complémentaires.
- Détricoter les résistances devrait pouvoir se faire autour d’échanges conduits par des professionnels du dialogue, pendant les heures de classe, pendant que les élèves ont à effectuer des tâches plus ou moins intelligentes, mais toutes fructueuses. (Il n’y a aucune impossibilité à se réunir une fois par mois dans le cadre de l’établissement une demi-journée, en plus d’un temps de formation à des méthodologies d’intervention qui ont fait des bonds considérables ces trente dernières années.
- Les valeurs communes ne peuvent guère être autre chose que de la haute qualité au service du plus grand nombre. Sauf si on estime encore que la question de l’excellence et des élites est première et que la piétaille, on s’en fiche.
- Reste le plus difficile, l’élaboration de règles communes et de modes d’intervention complémentaires s’imposant à tous et non pas imposées. Comme je ne connais pas de société qui fonctionne sans règles, je ne peux même pas imaginer qu’il puisse y avoir une quelconque opposition à les identifier, vérifier qu’on les applique, traiter des non- applications comme il se doit, et inventer de nouvelles règles lorsque les conditions l’imposent.
Une douzaine de profs se sont déjà réunis un vendredi midi pour parler, une bonne demi-douzaine ont fait part de leur intérêt.
Il a été question d’élèves non motivés, de parents agressifs, de pédagogie de la non-violence et de la médiation, de contrôles communs et d’autres sujets.
Je propose que nous continuions la chose de façon informelle jusqu’à la fin d e l’année et de façon formelle dès la rentrée, avec donc sans doute des demandes en conseil d’établissement.
Avec un secrétaire de séance officiel qui fait un compte rendu accessible à toute la communauté, transmissible aux délégués élèves et aux délégués parents ainsi qu’ à la direction. Ce qui suppose qu’on soit d’accord sur ce qu’on transmet de nos propos.
Et que chaque séance soit l’occasion de faire une proposition au moins, sérieuse, applicable qui permettrait de renverser la vapeur d’un établissement qui ressemble de plus en plus à un lycée lambda de la banlieue profonde. Et je rappelle que les seuls établissements qui s’en sortent sont ceux qui ont des équipes collectives dynamiques. Qu’on se le dise ! ou que l’on n’aille pas se plaindre.
Méthodologie de réunion proposée :
- Chacun parle avec en gros un même temps de parole. Un maître du temps se désigne à chaque séance.
- Dans un premier temps, chacun propose au groupe en trente secondes un sujet qui le préoccupe en une phrase.
- Un vote est fait sur le sujet à retenir
- La personne qui a énoncé le sujet retenu l’expose pendant 5 min max. Puis le groupe qui éventuellement se subdivise en sous-groupes de 6, s’il est trop nombreux ,cherche des propositions concrètes pour évoluer sur la plainte.
- Feed-back de la personne ayant choisi le sujet et feed-back de chacun
- Rebelote si nécessaire
- Compte-rendu validé par le groupe de la séance précédente et ou du jour.