On parle beaucoup de l'église catholique ces temps. Et les raisons pour lesquelles on le fait mettent un tas de gens dans une vraie sale situation. Certains l'ont amplement mérité. Mais d'autres, non. Petite pause, donc, le temps d'exprimer une certaine solidarité avec les catholiques. Pas avec l'église catholique, qui n'est pas une personne et donc pas un objet légitime de solidarité. Pas avec ses autorités, qui quoiqu'elles en disent ne sont pas vraiment victimes, mais plutôt démasquées. Non, il s'agit ici de solidarité avec les catholiques: toutes ces personnes ordinaires qui n'ont rien fait de mal, en tout cas pas plus que vous et moi, et qui se trouvent maintenant ... oui, dans une vraie sale situation.
On peut la résumer ainsi. Depuis 10 ans, des scandales successifs entourent des cas d'abus sexuels sur des enfants de la part de prêtres au États-Unis, puis dans un nombre croissant de pays dont l'Irlande, l'Allemagne, la France, la Suisse, l'Autriche, la Hollande, l'Espagne, le Brésil, le Canada... On est donc face à une affaire mondiale; il semble que le nombre estimé de victimes augmente presque tous les jours; bref, c'est vraiment très grave.
Et le plus grave n'est même pas, si l'on ose le dire, qu'il existe dans une église des individus qui se rendent coupables d'actes criminels. Après tout, oui, cela peut arriver. D'accord, c'est plus grave dans une institution qui annonce que son métier est de s'occuper du bien et du mal, d'être un moteur moral. Certains ont tenté de défendre l'église catholique en avançant qu'elle ne comptait pas plus de pédophiles dans ses rangs que la population générale. Malheureusement, il semble que soit inexact. Mais disons que ce soit vrai. Il resterait profondément troublant qu'un groupe érigé en modèle moral ne soit seulement pas pire que la population générale.
Non, le plus grave est ailleurs. Non pas dans la responsabilité des individus, mais dans la manière dont l'église catholique a géré, et continue de gérer, ces affaires. Et cette situation semble -du moins de l'extérieur- difficilement extricable. En clair, l'église catholique a d'abord peu punis, et beaucoup tenus secrets, les prêtres coupables de pédophilie. Elle a ensuite nommé à sa tête l'une des personnes qui avait maintenu cette politique du silence.
Qu'il s'agisse d'une église ne change rien à la structure du problème. Les prêtres, comme les enseignants, les avocats, les médecins, et quelques autres professions, exercent -ou sont censés exercer- leur métier au service de personnes vulnérables, avec lesquelles le rapport de pouvoir est inévitablement souvent asymétrique. Ces professions ne peuvent s'exercer que en échange de la promesse, tenue et visiblement tenue, de ne jamais abuser ce de pouvoir. Les corporations qui structurent ces professions servent à ça. Leurs codes de réglementation internes servent à ça. En cas de transgression de ces codes, il est juste de les juger sur leur capacité à punir les coupables. En cas de transgression légale, il est à nouveau juste de les juger sur leur capacité à ne pas entraver la justice. Au minimum.
Et sur ce chapitre, la capacité de régulation de l'église catholique impressionne par son insuffisance.
Alors, pour les membres d'une institution qui demande une confiance énorme et s'en montre à ce point indigne, que faire?
Difficile question.
Certains voudront sans doute faire comme si de rien n'était. Après tout, s'opposer à une autorité est difficile. Et il est vrai que l'écrasante majorité des membres de l'église catholique n'a rien à voir avec toute cette histoire. La question qui demeure est de savoir quand, et dans quelles conditions, on devient complice d'une organisation que l'on réprouve, simplement en restant affiliés sans s'opposer... Difficile de répondre. Cette voie est donc ouverte, peut-être, aux fidèles. Mais pas au clergé: difficile, en se voilant la face, de ne pas devenir un tant soit peu complice lorsqu'on est un représentant officiel.
Certains voudront réformer la manière dont l'église catholique gère ces situations. C'est légitime. Pour leur institution c'est sans doute le seul chemin pour éviter une forme de faillite morale: la rupture de la confiance sur laquelle repose son existence. Exprimer de la compassion pour les victimes est insuffisant, c'est clair. Alors comment faire? Difficile également. Je n'en ai pas la moindre idée. Et pour avoir la moindre valeur une telle démarche doit venir de l'intérieur.
Certains voudront partir, voire se faire débaptiser. Et là encore, c'est difficile. Un ami catholique me disait récemment qu'il partirait s'il pouvait le faire 'seulement avec la tête', et garder les liens, les amitiés, les chants de son enfance. Quitter une église est tellement difficile qu'une étude récente a montré que l'on trouve dans les rangs du christianisme des membres du clergé qui sont athées. L'un d'entre eux l'est même officiellement. Mais un grand nombre l'est en secret, et reste pourtant.
Pourquoi restent-ils? L'auteur de l'étude, le philosophe Daniel Dennett, le décrit à partir de 6:05 sur cette vidéo. En bref, il y a trois raisons.
-Ils se sentent piégés: 'Et ma famille, mon travail? Et puis je ne sais rien faire d'autre...'
-L'énorme obstacle social: comme dire aux autre 'j'ai gaspillé les dernières 40 années de ma vie'?
-Finalement, et c'est là le plus dur, la bonté: l'idée qu'on fera mal à des personnes que l'on aime si l'on part. La bonté encore: l'idée que l'on peut faire du bien en restant, que c'est là la manière dont on sait le mieux faire du bien autour de soi.
Si ces raisons suffisent à maintenir dans l'église des prêtres athées, on peut comprendre qu'elles suffisent souvent à garder dans l'église des croyants choqués par les scandales. Car oui, c'est une sale situation. La bonté contre l'intégrité. Sa famille contre sa conscience. Réformer, mais comment. Rester ou partir. Une petite pensée solidaire, donc, pour les catholiques qui y font face...