Qu’a donc pensé un "centriste indécis" du fameux (et d’ores et déjà archi-commenté) débat d’hier ?
Je vais surprendre : je serai nuancé :-)
1. L’AMORCE D’UN DEBAT
J’ai été, dans ma dernière chronique, assez dur sur le manichéisme et la démagogie des deux camps. De ce point de vue, le débat d’hier est presque une bonne surprise. Il y avait quasiment de quoi être médusé en mettant en parallèle les derniers meetings des uns et des autres, les dernières altercations des porte paroles et soutiens des uns et des autres, et le ton finalement mesuré et "respectueux" des deux candidats.
Oh bien sûr tout cela était de façade mais malgré tout, cette bonne volonté a quand même permis à l’un comme à l’autre de développer ses arguments (qu’ils soient bons ou mauvais du reste), de ne pas être trop virulemment caricaturé par l’adversaire, bref un débat s’est amorcé, qui n’est malheureusement allé guère plus loin que l’amorce.
Alain-Gérard Slama, ce matin sur France Culture, n’avait sans doute pas tout à fait tort de juger que ce débat ressemblait plus à un débat de "premiers ministres" qu’à un débat de futurs présidents de la République. Mais l’un dans l’autre, n’était-ce pas précisément ce que beaucoup attendaient, qu’on soit un peu plus dans le "comment faire" plutôt que dans le "yakafokon" (même si je suis loin d’avoir dit qu’il n’y avait pas de yakafokon dans ce débat !).
Cela, du reste, m’amène à une remarque personnelle : je trouve dommage qu’une fois les deux candidats sélectionnés pour le second tour, ceux-ci ne disent pas beaucoup plus clairement quelle sera leur équipe, de qui ils vont s’entourer, comment concrètement ils vont dérouler leur projet. Assurément cela permettrait de faire un choix plus éclairé : mais bien sûr l’on me rétorquera que pour perdre une élection, il suffit précisément de dire ce que l’on fera !
2. L’INVERSION DES RÔLES ?
Certains l’avaient anticipé, cela s’est produit : Nicolas Sarkozy, celui que l’on présente comme l’agité du bocal, le "ruptureux" fou, l’antirépublicain, fut d’une sagesse et d’un calme olympiens. Il fut même, des deux, le plus respectueux, regrettant que son adversaire (dans le déjà mythique "passage sur les handicapés") perde ses nerfs, allant à plusieurs reprises jusqu’à dire qu’il fallait dépasser les clivages sur certains sujets, etc. Oh bien sûr, diront ses adversaires, ce stoïcisme n’était que de façade (peut-être fut-il obtenu à coup de tranquillisants ?), d’ailleurs il fut à plusieurs reprises méprisant voire condescendant. A la limite de l’obséquiosité sous l’apparence de la retenue et de la mansuétude ("allez va, les trois minutes je les lui laisse !").
Ségolène Royal, pour sa part, a surpris par son ton pugnace, sa posture et ses gestes parfois mitterrandiens (les rictus goguenards, le ton glaçant…). On était très loin de ses meetings affligeants où l’on dirait davantage un droïde téléguidé qu’une femme de chair et de sang emplie de convictions profondes qui s’exprime. Envolé le sourire style "ravie de la crèche", envolé le débit monocorde et franchement chiant.
Bref Sarkozy, que tout le monde s’accordait à reconnaître comme l’orateur et le tribun le plus doué des deux, a donné l’impression d’être "profil bas" dans ce débat. Jusqu’à quel point le bougre a-t-il consciemment et volontairement appliqué cette stratégie ? De bout en bout, ou y a-t-il quand même eu des moments où la force des invectives de son adversaire l’a frappé, voire décontenancé ? Des moments où il s’est peut-être dit que cette stratégie "moine bouddhiste" de ses conseillers était une connerie ?
3. LE FOND
Je ne suis pas du tout certain que l’on ait énormément avancé sur des questions comme le travail ou les retraites. Personnellement (mais je suis sans doute un peu con) les fights sur les 35 heures, sur le travailler plus, ne m’ont pas aidé à me faire une opinion. L’un de deux a-t-il tout faux, ou tout juste ? L’un des deux projets va-t-il faire s’écrouler l’économie, l’autre à l’inverse conduire au plein emploi ? Bien malin celui qui me l’expliquera… Sur les retraites je trouve que la prestation de Ségolène Royal était mauvaise. On n’a pas vraiment su si sa "mise à plat" des lois Fillon signifiait l’abandon, la poursuite d’une nouvelle direction, ou si tout cela n’était pas plutôt purement démagogique.
Pareillement la joute sur les fonctionnaires (suppression chez l’un mais en ne citant que l’exemple très "facile" des douanes et des impôts ; redéploiement chez l’autre en n’étant pas plus précise, tout en ayant d’abord insisté sur la dette publique insupportable : contradiction ?), sur les trois fonctions publiques ("vous ne pouvez pas redéployer de l’une à l’autre" "mais je ferai ce que je voudrai !"), sur les niveaux de compétence (Etat central / régions), tous ces éléments ne m’ont pas vraiment convaincu dans un sens comme dans l’autre. Sinon que Sarkozy, lorsqu’il évoque les sujets économiques, que l’on soit d’accord ou pas avec ses orientations, paraît vaguement plus crédible que Royal, moins démago, plus structuré. Mais globalement on n’allait jamais au fond des choses, on s’empaillait parfois sur des détails.
Cela étant dit, la vraie surprise de la soirée, c’était la tonalité globalement social-démocrate de la candidate socialiste. Ouvrir son intervention sur la dette était un message déjà clair aux électeurs de Bayrou, mais plusieurs de ses prises de position sur l’entreprise, la capacité d’innover, n’ont fait que renforcer cette couleur plus libérale. Le problème, toutefois, est double : d’abord les discours n’engagent à rien et nous avons assisté à plus de déclarations d’intention qu’à des éléments de politique concrète (mention spéciale pour les "partenaires sociaux" qui sont convoqués toutes les trois minutes) ; ensuite il eût été tellement plus pertinent de tenir ce langage depuis des mois, plutôt que trois jours avant le deuxième tour et encore, sous la pression des 18% bayrouïstes ! Un réel problème de crédibilité se pose donc pour Ségolène Royal… tout cela fait un peu improvisé.
Dernier élément, qui joue plutôt en la faveur de Royal : elle a su très habilement différer la question des institutions (initialement prévue au tout début) jusqu’à la fin. Sur cette matière Sarkozy est passé pour le type un peu ringard et conservateur, dans le sillage chiraquien, qui ne veut pas trop toucher aux institutions et qui n’accorde pas à la vitalité démocratique la place qu’elle mérite. Il s’est contenté d’observer que 85% d’électeurs qui vont voter c’est la preuve que tout va bien, argument idiot qu’il eût été facile de retourner.
4. ET ALORS ?
Ben alors… je sais pas moi, non mais oh ! Déjà il faut déplorer avec force que la place de l’Europe et du monde soit réduite à la portion congrue. Sans doute la conviction, chez l’un comme chez l’autre, que "ça n’intéresse pas les Français" !
A tout prendre Royal a été, dans l’instant, plus authentique et punchy que Sarkozy. Elle a su le faire vaciller, l’agresser ou le railler, alors qui lui est resté dans une posture très (trop ?) humble, il baissait parfois la tête, se raccrochait désespérément aux regards des journalistes, semblait dans une sorte de monologue, bref moins présent.
En même temps le pauvre gars partait perdant : s’il l’avait agressée on aurait dit qu’il est misogyne ou qu’il a la carrure d’un dictateur. Au fond c’est cet axiome que Ségolène Royal a su utiliser avec profit : alors que d’habitude la rhétorique Sarkozy est très déstabilisante parce que grosso modo c’est "quoi que je dise j’ai toujours raison" (comment ça vous êtes pas pour l’ordre et la justice ? comment ça vous trouvez ça bien de se faire agresser ?), là c’est son adversaire qui en a bénéficié.
Cela dit le côté quand même fabriqué, au-delà de cette relative spontanéité de la candidate, continue de sauter aux yeux : d’abord sur le virage (dans une partie du vocabulaire) au centre, ensuite sur l’emportement qui sonnait un peu faux au sujet des enfants handicapés. Et puis, encore une fois, Ségolène Royal avait pour elle le camp du bien, de la justice et de la compassion : elle en a un peu trop joué, se plaisant à exagérer certaines orientations de son adversaire, se plaisant aussi à le faire passer pour un élève qui doit "réviser" ses dossiers (après avoir été traquée pendant des mois sur ses bourdes à elle !), se plaisant enfin à rester plus généreuse mais gratuitement, sans montrer comment, concrètement, elle pourrait redresser la France si elle l’emportait dimanche. Les bonnes intentions c’est évidemment toujours mieux que les messages d’austérité. Les grandes déclarations c’est évidemment toujours mieux que les mesures techniques.
En conclusion : pouvait-on attendre autre chose de ce débat ? Franchement je ne crois pas, et une nouvelle fois je m’attendais ... à pire !