Je donne ici un titre qui n'en est pas un. Il s'agit de la Véritable Histoire du Soldat inconnu. Au moment où l'on annonce la catastrophe bessonnienne de l'adaptation d'Adèle Blanc-Sec, il me semble utile de revenir aux fondamentaux (comme on dit dans le joyeux monde de l'économie capitaliste et de la politique made in UMP).
Cet album est très particulier : il est issu de la collection 30x40 de Futuropolis. C'est je crois le premier de la collection en 1974 et il me semble le premier de la maison d'édition. Aucun titre de série. Pas de nom de personnage, pas de titre d'histoire. Juste le nom de l'auteur en très grosses lettres dans une police pas du tout agréable du modèle Arial-Helvetia comme on avait l'habitude chez Futuro. Dedans, 34 pages seulement en noir et blanc, dans le format où elles ont été dessinées et ce n'était pas encore le moment où l'on voulait éditer des collectors pour collectionneurs fortunés. C'était un choix radical. Affirmer d'abord le primat de l'auteur par rapport à la série. Revenir à ce qui est l'essence de la bande dessinée : le noir et blanc, la bichromie en couverture, le dessin dans sa matérialité, sortir du format normé des 46 ou 62 pages et revenir à des histoires qui ont un sens, qui parlent graphiquement.
On était donc loin de tout ce qui fait aujourd'hui l'industrie d'une forme de bande dessinée de luxe et c'était totalement à contre-courant de la production grand public cependant. Dedans, on trouve l'aventure d'un homme ordinaire qui se retrouve ensuite célébré pour être mort dans des circonstances confuses. Le dessin de couverture est une case agrandie et on se croit alors dans la Nuit des morts-vivants. Tardi va autoriser deux autres rééditions dans un format plus réduit dont je trouve les couvertures plus lourdement symboliques et de moindre intérêt. Je trouve qu'il est devenu plus insistant et cela m'ennuie.
Ce qui fait l'intérêt de cet album dans cette forme, c'est qu'il n'affichait justement aucune allégorie grossière dans sa couverture. C'était un objet venu d'ailleurs. Le titre (que l'on ne découvre qu'en ouvrant le livre) évoquait déjà ce qui fera la matière principale de l'oeuvre de Tardi : la Première Guerre mondiale (période durant laquelle Adèle Blanc-Sec est curieusement absente). Futuropolis commence par une histoire de mort-vivant, de soldat que l'on célèbre pour de fausses raisons et de feuilletonniste patriotique mort au champ d'honneur sans avoir compris ce qu'il a vécu. Il y a une profonde ironie chez Tardi et surtout une ironie amère sur ce qui est sa condition et ce qu'il veut dire. Il entame une série plus classique immédiatement après : ce sera Adèle Blanc-Sec qui sacrifie à certaines conventions pour faire bien série populaire. Ce n'est pas un hasard si plus de trente ans après Florence Cestac publie la Véritable Histoire de Futuropolis. Reprenant ainsi le titre du premier livre qu'elle avait publié avec son compagnon Robial parti depuis vers les rivages enchantés du joli habillage des chaînes de télévisions commerciales et bien à la mode.