(Le JDD du 04/04/2010)Partager
La sénatrice-maire Dominique Voynet est confrontée à l'explosion de sa majorité municipale dans une ville 100% à gauche.
ALORS que la gauche française se reconstruit, il est une ville d'irréductibles Gaulois : qui se bagarrent, se divisent, se haïssent. A Montreuil, en Seine-Saint-Denis, la majorité municipale vient d'exploser en vol. Pourtant, la liste rose-vert-rouge de Jean-Paul Huchon a obtenu ici le score impressionnant de 78.8% au second tour des régionales le 21 mars.
Le conseil municipal est composé de 53 élus de gauche, zéro de droite. En 2008, un an après sa déroute à la présidentielle (1.5%), la sénatrice écolo Dominique Voynet avait réussi l'exploit de déboulonner le député Jean-Pierre Brard (apparentés PC) et maire depuis 1984. Pour cela elle s'était alliée avec les socialistes locaux - exclus du PS à cette occasion – et avait formé une majorité plurielle, censée incarner une nouvelle approche de la politique.
Patatras, le beau rêve s'effondre dans la quatrième vile d'Ile-de-France (après Paris, Boulogne et Argenteuil). Le 18 février, dix élus ex-PS, dont cinq maires-adjoints décident de boycotter le conseil municipal, refusant d’approuver le budget primitif.
Dominique Voynet retire aussitôt leurs délégations aux rebelles : la première adjointe Mouna Viprey perd ainsi son portefeuille (Education et enfance), de même que Manuel Martinez (Urbanisme), Daniel Chaize (Culture), Nathalie Sayac (Petite Enfance), Alexandre Tuaillon (Associations et Affaires internationales) ou Stéphane Gaillard (Marchés publics). S’en suivent des tentatives de négociation, des appels à la raison, des esprits qui s’échauffent. Jusqu'au conseil municipal du 25 mars; lorsque le divorce est consommé : les dix élus indisciplinés votent contre le budget définitif. Ils siègent désormais dans l'opposition.
Hausse des impôts locaux
Objet du litige: la hausse des impôts locaux, taxe foncière (+ 12 %) et d'habitation (+ 8). « La fiscalité locale est déjà élevée à Montreuil », précise Mouna Viprey, ancien binôme de Voynet (les deux "V" de la Victoire pendant la campagne). «On s'est engagés à ne pas augmenter les impôts. C’était une promesse électorale qui figurait en caractères gras sur nos tracts » Les frondeurs finissent par accepter une hausse de «6 % maximum ». «Ce n'est pas comme ça que ça marche », tranche Voynet qui décrit la «situation catastrophique de la ville héritée de l'équipe précédente ». La sénatrice-maire s'agace «ce n'est pas facile d'accroître les impôts, nous aussi on est mal â l'aise. Mais on n'avait pas le choix. Il faut savoir prendre ses responsabilités. »
Montreuil est surendetté : 200 millions d'euros pour un budget annuel de 185 millions. «Une dette de 2.000 euros par habitant ; deux fois plus que dans une ville similaire », soupire Emmanuel Cuffini, adjoint Verts aux Finances. «En 2009, on a remboursé 10 millions d'emprunts, autant d'intérêts. On n'avait pas conscience de la gravité de la situation ». Troublant aveu récusé par Mouna Viprey : « on connaissait parfaitement l'état des finances avant l'élection, Les comptes sont des documents publics. » Sauf que «c'était avant la crise, qui a fait exploser, les dépenses sociales », rétorque Cuffini. L'exécutif décide donc unanimement, de faire des économies, sans licenciements ni fermeture d'équipements publics.
Un projet de parc aquatique contesté
«On a considérablement réduit les dépenses de communication ou de voitures de fonction, assure Dominique Voynet. Je dois être la seule maire d'une ville de cette taille [plus de 100.000 habitants, l'équivalent de Caen, Rouen ou Nancy] à n'avoir ni bagnole ni chauffeur, je me débrouille avec ma petite Twingo. ». Mais les marges de manœuvre sont faibles. Les élus frondeurs, reprochent à l'édile de vouloir «construire à tout prix son parc aquatique écolo» dans le haut Montreuil. « Où est l'urgence ? Elle veut marquer la ville de son empreinte, avoir quelque chose à inaugurer avant la fin de la mandature », persifle Manuel Martinez. «Ce parc de loisirs était une promesse de campagne pour ceux qui ne partent pas en vacances, se défend la maire. Le coût est acceptable : entre 7 et 10 millions d'euros. » Son adjoint aux Finances, lui, parle de « 15 à 17 millions » ; «pas plus cher qu'un groupe scolaire ».
Fallait-il en arriver là ? Les ex-PS évincés de l'exécutif dénoncent une «mascarade », la «brutalité » et l'«autoritarisme» de la maire, le «non-respect du vote des Montreuillois »…« On se rend compte que la remplaçante de Brard, en qui nous avions confiance, fait preuve des mêmes méthodes », déplore Daniel Chaize, qui pointe le paradoxe de Voynet : «Elle déclare sur les estrades nationales que la gauche doit s'unir pour être plus forte, et elle exclut ses partenaires au niveau local. »
Dominique Voynet s'inscrit en faux: «J'ai évité les gestes irréparables. Je n'ai pas changé les serrures, pas confisqué les téléphones ni les accès au parking. Et je n'ai pas communiqué sur cette affaire dérisoire. Reste que ce clash a démasqué un vrai malaise. Moi, je fais de la politique depuis longtemps ; j'ai déjà vécu des discussions difficiles avec Jospin, Hollande, Fabius ; je peux encaisser. Mais les autres élus de la majorité se sont sentis insultés. Ras-le-bol du chantage, des rapports de force, du manque de solidarité. Nous fonctionnons de façon collégiale. C'est difficile â comprendre pour nos camarades socialistes, habitués à d'autres pratiques... » La réconciliation n'est pas pour demain.
Le Journal du dimanche - 04 avril 2010 - Bertrand Gréco