Discours du président René G. Préval à la conférence des donateurs à l'ONU
Monsieur le Secrétaire Général, Madame la Secrétaire d’État, Monsieur l’Envoyé Spécial Président Bill Clinton, Madame la Gouverneure Générale du Canada, Michaëlle Jean, Honorable P.J. Patterson, Représentant Spécial de la CARICOM, Honorable Présidents du Sénat et de la Chambre des Députés d’Haïti, Mesdames, Messieurs ministres et ambassadeurs, Mesdames, Messieurs
Les deux dernières fois où je me suis trouvé à cette tribune, à l’occasion de la 63ème et de la 64ème Assemblées générales des Nations Unies, c’était pour témoigner de l’expression de la souffrance de mes compatriotes, frappés par une série de désastres naturels : ouragans, cyclones et inondations. Bilan : 3 000 morts, des centaines de blessés et des pertes matérielles évaluées à 15% du PIB.
Nous voilà aujourd’hui encore réunis ici à l’occasion d’une souffrance sans commune mesure pour les Haïtiens, après le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010. Bilan : 300 000 morts, des milliers de blessés et des pertes matérielles évaluées à 120% du PIB.
C’est l’occasion pour moi de remercier les pays amis qui ont rapidement mobilisé leurs ressources pour nous porter secours ; d’abord nos voisins de proximité qui, quelques heures après le séisme, étaient déjà sur place avec une logistique humanitaire grandement appréciée.
Un remerciement également aux citoyennes et citoyens et aux gouvernements de ces pays éloignés, éloignés de notre histoire, éloignés de notre géographie, qui ont dépêché sur place et en masse, volontaires humanitaires, secouristes, personnels médicaux, charriant avec eux des tonnes de matériels, de médicaments, d’eau et de nourriture.
Le peuple haïtien historiquement ouvert sur le monde et ayant payé au prix du sang le combat pour la défense de la dignité humaine, n’est pas insensible à la portée de cet immense mouvement de solidarité et de compassion exprimé par le monde entier. Je veux dire à chacune des citoyennes, chacun des citoyens, à chacune des familles, à chacune des entreprises, à chacun des dirigeants de ces pays qui ont d’une manière ou d’une autre contribué à la réalisation de ce grand effort, que le peuple haïtien leur exprime, par ma voix, sa profonde gratitude.
Si l’élan de solidarité et de fraternité qui nous est donné à voir depuis le 12 janvier ne s’évanouit pas, mais au contraire s’étend et s’approfondit, c’est que le rêve de l’appartenance de chaque pays, de chaque nation à une véritable communauté humaine planétaire a des chances de se réaliser un jour.
Nous devons également tiré quelques enseignements de ce tremblement de terre qui nous enseigne que la générosité des nations doit se discipliner.
L’occasion m’est offerte ici de souligner comme je l’ai déjà fait auprès du Secrétaire Général la nécessité de la création d’une force d’intervention humanitaire, sous l’égide de l’ONU pour coordonner les réponses aux différentes catastrophes qui ne manqueront certainement pas de survenir : tremblements de terre, tsumanis, et autres calamités dûs au changement climatique. L’aide internationale doit être coordonnée en amont si elle veut exprimer toute son efficacité. La proposition de la création des Casques Rouges de l’ONU mérite notre attention.
Mesdames, Messieurs, Je ne saurais passer sous silence le courage, la solidarité et l’héroïsme dont ont fait preuve, sur place, les Haïtiens eux-mêmes. L’exemple de l’amour, de l’engagement, de l’esprit de sacrifice nous vient parfois des plus démunis qui n’ont pas hésité une seconde à mettre leur propre vie en danger pour courir au secours d’autres Haïtiennes, d’autres Haïtiens qu’ils ne connaissaient même pas.
L’attention, la solidarité et la mobilisation de la diaspora ont montré que la distinction entre être Haïtienne et Haïtien du dedans et être Haïtienne et Haïtien vivant à l’étranger n’est qu’une fiction administrative. Là encore, le rêve d’une nation qui transcende ses clivages séculaires et accepte de se donner un nouveau destin forgé dans la solidarité et l’unité est peut-être en train de se réaliser.
Rêvons donc. Faisons ce double rêve.
Rêvons d’une planète nouvelle, forgeant son destin dans un nouveau projet d’humanité; un projet d’humanité qui place le bonheur des humains et la protection de nos espèces, de nos écosystèmes avant l’obsession de l’accumulation du profit.
Rêvons aussi d’une Haïti nouvelle retrouvant son destin dans un nouveau projet de société, sans exclusion, ayant vaincu la faim, et dans lequel tous et toutes peuvent avoir accès à un abri sûr, décent, à des soins de santé selon leurs besoins, à une éducation de qualité; des Haïtiennes et Haïtiens rendus ainsi mieux disposés, par leur créativité artistique légendaire, à contribuer à la joie du monde.
Mesdames, Messieurs, Nous voilà réunis ce matin pour parler du développement du pays qui, avant la catastrophe du 12 janvier était déjà le plus pauvre de l’hémisphère.
Je suis persuadé, Monsieur le Secrétaire Général, Madame la Secrétaire d’État, Monsieur le Représentant Spécial, que le besoin d’investissements en infrastructures retiendra largement notre attention : routes, électricité, transport, télécommunications.
Mais n’oublions pas l’essentiel : Pour accomplir ce nouveau rêve de pays, pour donner une chance à ce nouveau projet d’humanité, l’éducation est, j’en suis persuadé, la voie principale. Il y a à peine 50 ans, la plupart des institutions internationales répugnaient à consentir aux pays en développement des prêts pour l’éducation; les investissements étaient plutôt concentrés dans les infrastructures, parce que nous croyions, à ce moment-là, que celles-ci apportaient une contribution plus directe au développement des capacités productives de nos pays. L’éducation était au mieux considérée comme un droit et non comme un investissement productif pour l’économie. A présent, nous sommes tous d’accord que les choses ont changé; l’analyse théorique l’a établi; les faits l’ont démontré : aucun développement n’est possible sans l’éducation. Les études réalisées par ces mêmes institutions internationales et le cas d’un grand nombre de pays attestent que l’amélioration de l’éducation est une condition fondamentale du développement économique.
Dans le cas d’Haïti, dès avant le 12 janvier, il était déjà inacceptable que 38% de la population âgée de 15 ans et plus soient analphabètes, que 25% des enfants en âge scolaire ne puissent être admis dans une école, que les enfants qui ont le privilège d’être dans une salle de classe ne puissent bénéficier des conditions appropriées pour développer de véritables apprentissages, que les emplois offerts par nos entreprises soient attribués à des expatriés parce que les jeunes diplômés de nos centres de formation professionnelle ne possèdent pas les compétences appropriées, que l’université ne puisse offrir au pays les cadres nécessaires à son développement ni constituer une source d’innovation pour notre société.
Le 12 janvier, en heurtant de manière particulière le monde de l’éducation, a mis à nu la profondeur de cette fracture sociale et humaine.
Une fracture que notre société ne peut plus supporter; et qu’elle se doit de réparer le plus vite possible. Parce que l’éducation est l’exigence cardinale qui donne son sens à tout le reste. L’éducation est la condition essentielle du développement. Ne l’oublions pas!
J’appelle les Haïtiennes et les Haïtiens de l’intérieur; j’appelle les Haïtiennes et les Haïtiens vivant à l’étranger à accorder leurs ressources avec celles de nos amis de la communauté internationale, pour transformer Haïti en une cité du savoir où la solidarité, le respect de l’autre, l’intégrité, le respect de l’environnement, la promotion du patrimoine culturel et historique, la capacité d’apprendre par soi-même, l’esprit critique, le sens de la responsabilité, la capacité de résoudre des problèmes, la diversité culturelle et linguistique, deviennent les valeurs cardinales de la nouvelle école haïtienne. Une école haïtienne sans exclusion où chaque enfant haïtien peut bénéficier d’un repas quotidien et de l’encadrement d’un maître qualifié; une école haïtienne ouverte sur le monde tout en étant en résonance avec son milieu, reflétant ainsi l’identité plurielle d’une nation à présent créolophone et francophone mais pleinement enracinée dans la mémoire de nos origines africaines, et acceptant le façonnement que l’Amérique et la Caraïbe apportent à son histoire quotidienne. C’est dans ce nouveau projet d’école que nous devons forger notre nouveau projet de société et organiser d’une manière solidaire et conviviale notre vivre ensemble.
Quand nous parlons de développement, nous pensons spontanément au financement d’infrastructures matérielles. Mais, l’éducation est la condition essentielle, le socle du développement. Ne l’oublions pas! Je formule donc le vœu que le rêve de cette Haïti nouvelle trouve les conditions de sa réalisation dans le concert des propositions et des engagements qui vont émaner de cette conférence. Bon travail à tous et merci de votre attention!
René Préval