Par Mélina Hoffmann - BSCNEWS.FR« L’enfant aurait voulu hurler qu’elle allait mourir, qu’elle ne pouvait plus respirer, ils s’engouffraient les uns après les autres sans lui accorder de répit, elle n’en pouvait plus. Lorsque le troisième garçon éjacula enfin, D. entendit des voix de plus en plus distantes, ses cheveux ne la tiraillaient plus, elle ne ressentait presque plus rien. Elle pensa au bien qu’elle se procurerait le soir en abîmant ses bras. L’adolescent qui la violait grogna fort et D. vomit.»
Avec 1 milliard de vidéos disponibles sur Internet et environ 700 000 sites pornographiques accessibles, le virtuel ne s’est jamais aussi bien porté. L’essor perpétuel des médias offre aux enfants et aux ados d’aujourd’hui la possibilité de se procurer, de visualiser et de s’échanger avec une facilité et une banalité déconcertantes toutes sortes de contenus, notamment des films, des vidéos et des images qui - bien souvent - n’auraient jamais du atterrir entre leurs mains.
Tandis qu’Internet est devenu la baby-sitter préférée de nombreux parents, il suffit d’un simple clic pour que s’efface l’avertissement « interdits aux moins de 18 ans » dont l’effet semble même être devenu plus attractif que dissuasif… A 7 ans, de nombreux bambins ont déjà vu leur premier film porno.
Ainsi, ce qui était autrefois un domaine réservé au monde des adultes a peu à peu envahi l’univers des enfants. La pornographie et tout ce qu’elle induit - brutalité, vulgarité, humiliation, simulation… - est désormais accessible à un public qui n’est pas armé pour interpréter ces images comme elles doivent l’être. Difficile de s’étonner alors que le nombre d’agressions sexuelles commis par des enfants augmente chaque année…
Journaliste pour Zone Interdite et Marie Claire, Géraldine Levasseur s’est penchée sur ce phénomène inquiétant. Six mois durant, elle s’est immergée au cœur de la brigade des mineurs de Marseille afin de suivre le quotidien de ses enquêteurs. Elle a recueilli les témoignages de nombreux collégiens, mais aussi parents, professeurs, psychanalystes, juges…
Elle nous raconte notamment l’histoire bouleversante de D., une ado de 13 ans, bonne élève et issue d’un milieu privilégié, qui a été durant trois mois le martyr des garçons de son quartier, subissant des viols quasi-quotidiens et se scarifiant pour exorciser son mal-être. Le récit douloureux d’un véritable calvaire subi par cette adolescente qui se détestait pour n’avoir su dire non, culpabilisait d’avoir causé des ennuis supplémentaires à sa mère, de ne pas avoir parlé ni s’être défendue, et pour cela ne souhaitait qu’une chose : mourir. Et c’est à maintes reprises et de toutes les façons possibles qu’elle tenta de se donner la mort, au point de sombrer plusieurs fois dans le coma et de nécessiter une surveillance permanente en hôpital psychiatrique.
« - Je ne peux pas guérir de cette maladie. Elle me dévore. J’ai tellement mal dans mon cœur, à l’intérieur, partout, que je ne sais même plus où ça me fait mal…
Laisse-moi mourir maman, s’il te plaît. »
Des paroles qui laissent sans voix…
Au fil des pages nous découvrons d’autres témoignages édifiants : des victimes traumatisées et perdues ; des adolescents qui déclarent ignorer que les fellations forcées constituent un viol et utilisent des mots crus qu’ils ne devraient - à leur âge - ni connaître, ni comprendre ; des jeunes filles prêtes à pratiquer des fellations à leurs camarades de classe pour s’affirmer ou faire partie d’une bande, sans que cela les choque ; une jeune fille de douze ans qui affirme devant son père vouloir devenir actrice de film porno parce qu’elle « aime ça » ; un père qui offre un film porno comme cadeau d’anniversaire à son fils de 13 ans ; mais aussi les fausses déclarations de viols de filles qui doivent rentrer au bled pour être mariées et qui ne sont plus vierges…
Et face à cela toutes sortes de réactions, des plus humaines aux plus condamnables : des parents désemparés qui se blâment de n’avoir su protéger leur enfant de toute cette perversité ; certains qui ferment les yeux, se réfugiant derrière leur sentiment d’impuissance ; ou d’autres encore qui n’hésitent pas à banaliser les actes de violence commis par leurs chers rejetons…
L’auteur dénonce le manque d’investissement et le retard de l’Education nationale dans sa mission éducative ; des professionnels blasés qui en oublient parfois qu’ils ont face à eux des victimes en souffrance ; la négligence de nombreux parents ; ou encore la lenteur des procédures, à l’image du cas de D. où il aura fallu huit ans pour que le procès ait lieu, que la jeune fille soit reconnue comme victime et que ses agresseurs écopent de peines dérisoires…
Plus que jamais, les enfants sont en quête de valeurs affectives dont ils manquent trop souvent, de normes qui ne sont plus définies, de limites que bien des parents ne savent plus imposer.
Il est temps d’ouvrir les yeux, de réagir, et de rendre à nos enfants l’innocence et l’insouciance dont ils ont besoin pour se construire et desquelles nous les privons de plus en plus. Pour que la sexualité ne devienne pas, à leurs yeux, synonyme de barbarie et continue à rimer avec les mots respect, liberté et amour.
Un livre poignant, instructif et bien écrit qui mérite d’être placé entre les mains de chacun de nous, pour mieux comprendre ce phénomène inquiétant, qui concerne toutes les classes sociales, avant qu’il ne nous dépasse… Ados : la fin de l’innocence - Enquête sur une sexualité à la dérive
Géraldine Levasseur ( Editions Max Milo)
Mélina Hoffmann
Photo D.R