Non ! ce n’était nullement un poisson d’avril avec deux jours d’avance. Continental : Proposition de reclasse-ment en Tunisie pour 137 euros par mois. Mais bien la parfaite expression du cynisme et du mépris pour les humains qui sont la marque de fabrique de l’ultralibéralisme. C’est d’ailleurs loin d’être une “première” en France. Comme l’affirmait Marine Jobert dans Libération le 28 avril 2005 «Maintenant, c’est des salariés qu’on délocalise»…
Ben, oui quoi ! Puisqu’il ne doit plus y avoir d’industrie en France. Trop chers, les salariés. J’ adapte le mot de Gambetta : «L’emploi, voilà l’ennemi !». Comment ne pas se mettre dans une noire colère devant la gloutonnerie des dirigeants et actionnaires ? “Des ogres de barbarie”…
Il s’agissait de l’entreprise d’appareils électriques Sem-Suhner de Molsheim dans le Bas-Rhin qui proposait à 9 ouvrières licenciées économiques – 25 ans d’ancienneté – de les reclasser en Roumanie pour le mirobolant salaire brut de 110 euros mensuels. Cynique en diable, le fils du fondateur de l’entreprise – fraîchement propulsé aux commandes de l’entreprise – soutenait que 110 euros en Roumanie, c’était tout à fait correct. Ajoutant que ce salaire tenait compte de l’ancienneté : 30 euros par mois. S’il ne tenait qu’à moi, je le prendrais par le colback et je te l’expédierais vite fait bien fait travailler en Roumanie aux mêmes conditions. C’est proprement monstrueux.
Plus récemment (11 avril 2009) mon attention fut attirée par un article paru sur le Télégramme de Brest La Barre Thomas. Reclassements en Pologne où j’appris que cet équipementier automobile – ayant appartenu à l’origine à Peugeot – proposait à un technicien gagnant en France entre 1500 et 2000 euros par mois un poste de gestionnaire dans sa filiale «Polymères Barre Thomas Poland» à Czestochowa pour 705 euros par mois, la connaissance de l’anglais figurant dans la rubrique des «compétences indispensables»…
Le seul avantage de l’euro, c’est de pouvoir comparer les prix et les rémunérations dans la zone euro, quand bien même le pouvoir d’achat serait-il différent. Avec le sloty, c’eût été forcément moins parlant. Je vois qu’un sloty serait équivalent à 0,29 euros en arrondissant. Pas même la moitié d’un euro en France.
L’article m’apprend par ailleurs que La Barre Thomas avait été rachetée en 1999 par la société italienne CF Gomma, qui a fait des investissements hasardeux aux Etats-Unis. S’en est suivi un dépôt de bilan et la reprise par le fonds d’investissement anglo-américain Silver Point. Rien d’étonnant. De telles sociétés ont des stratégies de prédateurs. Elles se payent “sur la bête” qu’elles n’hésitent pas à dépecer au gré de leurs intérêts uniquement financiers et se contrefichent totalement de l’avenir industriel d’un site. Alors, le sort des salariés…
Un article de Libé-Orléans du 14 février 2010, consacré à la fermeture programmée de l’usine de téléviseurs Philips de Dreux, indique que la direction proposerait des CDI en Hongrie payés 450 euros, les salariés devant de surcroît avoir une connaissance de la langue hongroise… Bien évidemment, plusieurs commentaires faisaient état d’un fils de Hongrois qu’ils renverraient bien là-bas
Dans un registre plus sérieux, le personnel de Philips eût souhaité continuer la production sous forme de coopérative de production (SCOP). Vous pensez bien que préserver la production en France est bien la dernière idée qui viendrait à la direction de Philips. La Scop serait un concurrent peut-être redoutable si une gestion serrée permettait d’être aussi performant quant aux prix sinon plus encore en matière de qualité.
Il fut un temps où les “expat’” avaient plutôt la vie belle. Souvent très qualifiés, ils tiraient des avantages substantiels en allant travailler à l’étranger. C’est sans doute encore vrai pour certains qui ont créé leur entreprise ou les cadres de très grandes entreprises mais pour la plus grande part des salariés, c’est de moins en moins vrai, fussent-ils qualifiés, comme en témoigne l’exemple de la société de développement de services Internet Hangar 17 ICT qui avait passé une annonce par l’intermédiaire de l’ANPE et proposait un poste d’informaticien bac + 2… pour 120 à 230 euros mensuels… Offre d’emploi en Inde : «Même les Indiens ne travaillent pas à ce prix-là» affirmait un chef d’entreprise français établi en Inde dans une interview donnée pour 20 minutes.
Xavier Mathieu, délégué syndical CGT de l’usine Continental de Clairoix (Oise) dit exactement la même chose : «Même les Tunisiens ne veulent pas de ces postes payés 137 euros brut par mois pour travailler en trois huit»…
Plus généralement, les chefs d’entreprise dénoncent la loi qui serait mal faite, les obligeant à proposer un reclassement professionnel dans l’entreprise, y compris le cas échéant dans des filiales à l’étranger. Le fabriquant de chaussettes Olympia (Bar-sur-Aube) a même été lourdement condamné par la Cour d’appel le 13 mai 2009 pour n’avoir pas – entre autres griefs - proposé un reclassement en Roumanie… où les salaires s’élèvent à 110 euros par mois.
La palme du cynisme et de la mauvaise foi doit sans nul doute être décernée à François Morel, PDG de la société de textile Careman à Castres qui non seulement a osé proposer à 9 salariés licenciés économiques Un reclassement professionnel en Inde à 69 euros par mois mais invoque à sa décharge «la stupidité de la loi» : «C’est la loi française qui nous oblige à faire par écrit une proposition de reclassement si on dispose d’autres sites, même si c’est en Papouasie ou au Bengladesh. Je suis conscient que c’est stupide, mais c’est la stupidité de la loi». Je préfère taire ce que cela m’inspire sur son degré d’intelligence. No comment.
La loi est en effet très certainement mal faite mais non point en ce qu’elle met diverses obligations à la charge de l’entreprise qui licencie pour des raisons économiques – et il ne s’agit pas de petites entreprises, lesquelles ne sont pas concernées par ces dispositions – mais en ce qu’elle ne met aucun garde-fou contre ce genre de pratiques.
Des obligations envers des salarié(e)s dont certain(e)s peuvent avoir 20 voire 40 ans de maison ? Vous n’y pensez pas ! L’ultralibéralisme et la mondialisation ont balayé ces billevesées d’un revers de main. Les salariés, quelle que fût leur ancienneté ne sont plus que des pions, des “variables d’ajustement” que l’on jettera sans vergogne pour préserver la compétitivité avec les concurrents pratiquant pire que du dumping social : le quasi esclavage !
C’est tellement vrai que nous apprenions il y a quelques jours que les sous-traitants chinois de la vertueuse Apple avaient fait travailler des enfants en dépit d’un “code de bonne conduite”… Simple torche-cul pour les margoulins du “Pire du Milieu”…
Je m’insurge bien évidemment contre les thuriféraires patentés de l’ultralibéralisme ainsi qu’également un certain nombres de politiciens de gauche qui se contentent souvent fort mollement d’en fustiger les excès les plus criants mais n’en appellent pas moins à “s’adapter” peu ou prou à la compétition internationale. La position d’un certain nombre de socialistes sur la “nécessaire” réforme des retraites est à cet égard très éclairante.
A écouter tout ce petit monde, la mondialisation et la globalisation ultralibérales constitueraient un mouvement inexorable auquel il serait vain de s’opposer. Elle irait dans le sens de l’histoire. Non seulement je ne saurais m’incliner devant une telle résignation fût-elle à demi consentante qui sacrifie les êtres humains au nom d’intérêt purement économiques et financiers.
Mais plus encore, une telle conception est inepte intellectuellement. Elle postule que nous n’aurions d’autres choix que de nous soumettre à une prétendue “main invisible” plus ou moins transcendante qui dicterait une loi sans doute d’origine divine. Or, les choix que l’on nous impose sont tout à fait terre à terre et sont dictés par des humains qui ont la prétention de dominer le monde mais n’ont rien de démiurgique. Ce que leur volontarisme prétend nous imposer un volontarisme contraire peut le faire échouer. Contre cette oligarchie dominante nous avons le nombre.
Enfin, il suffit de s’intéresser quelque peu à l’histoire pour s’apercevoir que nombre d’empires et/ou de pouvoirs que l’on croyait établis pour des centaines d’années voir des millénaires se sont écroulés sur eux-mêmes sous l’influence de diverses causes, la plus évidente étant la taille… Plus l’empire s’étend, plus il devient vulnérable. A chaque fois, il s’en est suivi un mouvement de repli sur des entités de plus petite taille. Une contraction à la fois géographique et économique.
C’est un fait aussi qu’à chaque fois qu’une chose est allée trop loin dans un sens, un mouvement de balancier vient à un moment ou un autre rééquilibrer en sens contraire. Regardez Sarko : il se croyait tout. Il n’est plus grand chose.
Le rôle des peuples est sans doute d’être le deus ex machina qui donne au bon moment la petite pichenette qui fait l’histoire en faisant s’effondre le géant aux pieds d’argile. Raison de plus de ne pas se laisser faire ! Et d’espérer.