La ville de " Copsa Mica " (au centre de la Roumanie) a subi depuis plusieurs décennies " une intense pollution " du fait d'activités industrielles métallurgiques, dont notamment celles de la " Sometra " qui était depuis 1993 la dernière usine en fonctionnement et qui a cessé temporairement son activité au début de 2009. Ainsi, il a été constaté en 1999 " que malgré une diminution de l'ensemble de la pollution depuis 1990, les quantités des poussières, des métaux lourds et du dioxyde de soufre dépassaient, lors des pics de pollution, d'environ vingt fois les limites maximales admises " (§ 13) et en 2003, que " l'ensemble des sols, de la végétation et des cours d'eaux de la ville et des alentours sur environ 35 kilomètres, contenaient des métaux lourds (plomb, cuivre, cadmium, zinc) dans des quantités dépassant largement les limites maximales admises. A cette pollution s'ajoutaient des pluies acides provoquées par le rejet dans l'atmosphère d'importantes quantités de dioxyde de soufre, ce qui empêchait le développement de la végétation " (§ 19). Une habitante de la ville dont le domicile est à proximité de cette usine s'est plaint - sans succès - de cette pollution auprès des autorités roumaines.
Conformément à une jurisprudence désormais conséquente en matière environnementale (v. en particulier récemment concernant la Roumanie : Cour EDH, 3e Sect., 27 janvier 2009, Tătar c. Roumanie, Req. n° 67021/01 -Lettre Droits Libertés du 28 janvier 2009 ; Cour EDH, 3 e Sect. 7 avril 2009, Brânduşe c. Roumanie, Req. n o 6586/03 - Lettre Droits Libertés du 15 avril 2009. Voir CPDH "environnement/écologie"), la Cour européenne des droits de l'homme accepte d'examiner les faits de l'espèce sous l'angle de l'article 8 en rappelant que " des atteintes graves à l'environnement peuvent affecter le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale " (§ 59).
En l'occurrence, en effet, la dangerosité des substances polluantes en cause et la preuve de leurs conséquences sur la santé, notamment de la requérante, (§ 63) révèlent " l'incidence directe des émissions nocives sur le droit de [cette dernière] au respect de sa vie privée et familiale " (§ 64 - sur la question du lien de causalité, v. les réflexions prospectives du juge Zupančič dans son opinion concordante). La responsabilité des autorités roumaines se situe ici sur le terrain des obligations positives dérivées de l'article 8 (§ 60-62) car si elles " ne sont pas directement responsables des émissions nocives " (§ 65), est en cause leur " incapacité [... à] contraindre la société à réduire la pollution à des niveaux compatibles avec le bien-être des habitants de Copşa Mică " (§ 66).
En effet, les procédures de contrôles et d'encadrement des émissions polluantes de l'usine n'ont pas été suivies de sanctions, les juges européens mettant le doigt sur " la réticence [des autorités] à sanctionner la société [...] motivée par le fait que des mesures à court terme seraient inefficaces et menaceraient une grande partie des emplois de la région " (§ 69).
Cette dialectique - récurrente - entre activités économiques et protection de l'environnement est abordée de front par la Cour qui admet l'intérêt de " maintenir l'activité économique du plus grand employeur d'une ville déjà fragilisée par la fermeture d'autres industries " (§ 70)mais " estime que cet intérêt ne saurait l'emporter sur le droit des personnes concernées à jouir d'un environnement équilibré et respectueux de la santé. L'existence de conséquences graves et avérées pour la santé de la requérante et des autres habitants de Copşa Mică, faisait peser sur l'Etat l'obligation positive d'adopter et de mettre en œuvre des mesures raisonnables et adéquates capables de protéger leur bien-être" (§ 71).
En ce sens, la juridiction strasbourgeoise considère qu'ici le " juste équilibre entre l'intérêt du bien-être économique de la ville [...] et la jouissance effective par la requérante du droit au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale " (§ 72) n'a pas été respecté.
Dès lors, la Roumanie est condamnée à l'unanimité pour violation de l'article 8.
Actualités droits-libertés du 30 mars 2010 par Nicolas Hervieu