Reverdie

Par Montaigne0860

… tellement fin et saoul que j’ose à peine poser mes pieds sur le champ dont chaque brin d’ivraie témoigne du chemin peu frayé à la verticalité dynamique et dont l’aspiration au ciel laisse à la fois admiratif et hanté de stupeur. J’ai peur de blesser. J’entends bien que c’est la loi de la vie, j’entends bien que l’on doit vivre et donc marcher, écraser, détruire ce que la sève s’évertue à lancer au plus droit, fierté fiévreuse, ouvertures d’une audace délirante, où un vert translucide domine au point de virer au gris lorsqu’un nuage avance rappelant la longue peine gravée au ciel des ramilles croisées sombres, c’était à quelques semaines d’ici, quelques jours. Le fracas de ces craquements d’écorces par millions, je l’écoute, tentant de ralentir au maximum ce temps qui trépasse à chaque pas de jour comme de nuit ; autant essayer de stopper la machine ronde, car ces innombrables élancements ne cessent d’être aspirés vers le ciel où je crois bien qu’ils nicheraient volontiers pour faire de la terre un paradis, ce lieu dangereux où les épousailles du bleu et du blé feraient mourir la sève et le temps, si bien que ( perdu dans l’habillement des halliers craquant de leurs coutures si utiles lors du voyage d’hiver et auxquels les pépiements en cascade restituent seuls un équivalent sonore) je me contente d’observer, désirs suspendus. Mais par un retour où je m’arrache à cette fascination, je constate que c’est à un nid que je songe, à un lieu où je serais suspendu entre le ciel et la terre – l’ange sourit -, lieu du temps lui aussi suspendu, cet à peu près silencieux où pour écrire on se retire du monde débordant d’allégresse. Durant cet exil, la visiteuse laisse tranquillement sonner ses pas sur l’humus ; je l’interroge du regard mais les froissements de sa bure étonnamment riche m’interpellent: qu’importe ton pas qui écrase et ta peur de blesser, qu’importe ton retrait, n’est-ce pas justement ce remuement universel qui te pousse à laisser monter tes chansonnettes artisanales, et n’es-tu pas tout compte fait partie intégrante de cette croissance effrénée lorsque tu en décris le décours ? – Je suis à la fois dedans et dehors, d’où le malaise. – Non, dit-elle, tu es entièrement immergé dans la saison. Interroge ton corps, il te le dira mieux que mes froissements murmurés.