Je me souviendrais de tout : de ta main rugueuse sur mes joues, de tes sourcils en bataille et des copeaux de bois qui trainaient toujours dans tes cheveux; de ta silhouette courbée descendant les marches de ton atelier ou penchée dans ton jardin; des étoiles dans ton regard quand nous revenions dans la maison après une trop longue absence; de ton sourire rieur quand tu nous appelais "ninette", de ta gentillesse infinie. Je me souviendrais de tout de toi, notre oncle.
Et j'oublierais les quelques semaines qui ont précédé ton départ, et de cet au-revoir qui était en fait un adieu. Oui; j'oublierai tout ça.
Puis j'apprendrais aussi à vivre cet 'après', sans toi, dernière sentinelle de notre enfance; à ne plus avoir la gorge nouée en passant devant cette maison aux volets désormais fermés où trainent encore tous ces fantômes et précieux souvenirs.
Et j'essayerai d'admettre que mon fils ne mettra jamais ses mains dans les tiennes pour aller voir les poules et les lapins ou ramasser les mûres dans ton jardin; que jamais il ne pourra aller se cacher dans les balles de pailles pour aller chercher tes oeufs ou ne montera dans un arbre pour cueillir les prunes mures... Oui j'essayerai.
Et même si la vie reprend son cours parce qu'il le faut bien, et que la douleur s'estompe dans les méandres du temps, est ce qu'il y a un moment où le chagrin cesse vraiment?