C'est de la faute du juge Bidalou! Le référé-liberté introduit par Jean-Hugues MATELLY, offici er de gendarmerie ET chargé de recherche au CNRS, demandant la suspension du décret présidentiel de radiation des cadres a été rejeté dans le cadre de la procédure de "tri" de l'article L.522-3 du Code de la justice administrative pour défaut d'urgence, en application d'une des - nombreuses - jurisprudences du fameux juge du Syndicat de la magistrature révoqué [par la droite]-réintégré [par la gauche]-rerévoqué [par la droite].
Cette ordonnance, rendue par le président de la section du contentieux, Bernard STIRN, ne préjuge rien de la suite, notamment de l'issue du référé-suspension et de la requête en annulation introduits par J-H. MATELLY devant le Conseil d'Etat
(qui restera compétent, même après le 1er avril 2010 avec l'entrée en vigueur de la nouvelle mouture de l 'article R311-1 du Code de la justice administrative issu du décret du 22 février 2010, car il s'agit d'un litige concernant la discipline d'un agent public nommé par décret du Président de la République en vertu des dispositions de l'article 13 (3e alinéa) de la Constitution).
ordonnance-30-mars-2010-matelly.1270147604.pdfCombats pour les droits de l'homme appelle à signer la pétition de soutien de M. Matelly, collègue chercheur qui doit être protégé par le principe constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs.
Rappelons brièvement les principaux rebondissements dans ce dossier:
- Procédure disciplinaire "Matelly I"
En 2003, ce chercheur associé avait publié dans la revue " Les Cahiers de la Sécurité Intérieure" un article critique sur le management dans la gendarmerie et l'usage des statistiques, analyses exposées dans la presse, notamment dans un entretien au journal " Libération". Cet article avait alors amené ses supérieurs hiérarchiques de l'officier à lui donner ordre de ne plus communiquer avec la presse puis, dans un second temps, a lui infliger un blâme pour s'être exprimé dans les médias sans en demander l'autorisation préalable à sa hiérarchie (exigence de la loi de 1972 portant statut des militaires, supprimée par une loi du 24 mars 2005).
Aucun des recours contre la première décision ne prospéra:
- ni contre la décision verbale du 4 février 2003 (CE, réf., 5 Février 2003 N° 253871 : référé-liberté; CE, réf., 19 Mars 2003 N° 254524 : référé-suspension; CE 19 Mai 2004, N° 245107 : fond; CE 7 juin 2006, n° 275 601).
- ni contre la sanction disciplinaire du 18 mars 2003 (qui ne fut annulée que pour une irrégularité de procédure qui ne permit donc pas à l'officier d'être indemnisé des conséquences de cette sanction : CE, 10 novembre 2004 N° 256572).
La Cour jugea cette ingérence dans la liberté d'expression conforme à l'article 10 de la CEDH car elle était prévue par la loi française, poursuivait le but légitime de " défen[se de] l'ordre dans les forces armées " et n'était pas disproportionnée.
A l'appui de cette conclusion, la Cour rappelle que si " l'article 10 ne s'arrête pas aux portes des casernes ", les " particularités de la condition militaire et [...] ses conséquences sur la situation des membres des forces armées " peuvent permettre à " l'Etat [d'] imposer des restrictions à la liberté d'expression là où existe une menace réelle pour la discipline militaire ". Compte tenu de la " marge d'appréciation " des autorités nationales, la Cour estime " qu'en embrassant une carrière militaire, le requérant a accepté les devoirs et responsabilités liés à la vie militaire et ne pouvait méconnaître les obligations dérivant de son statut particulier ". Or, elle considère que " les propos tenus par le requérant dans les différents médias, [notamment sur] une manipulation des chiffres de la délinquance par les officiers de gendarmerie [...] sont de nature à porter atteinte à la crédibilité de ce corps militaire, et à la confiance du public dans l'action de la gendarmerie elle-même " et critique " l'absence de toute tentative [du requérant] de rechercher au préalable l'approbation de ses supérieurs hiérarchiques ". Parallèlement, la Cour souligne positivement l'attitude des autorités internes en saluant " leur analyse minutieuse des faits de la cause ", le " caractère limité de l'interdiction de communiquer avec la presse " et " la gravité modérée " de la sanction disciplinaire (Cour EDH, Dec. 5 e Sect. 15 septembre 2009, req. n° 30330/04, Matelly c. Francevoir CPDH du 5 octobre 2009, comm. N. HERVIEU).
- Procédure disciplinaire "Matelly" II:
Au sein de l'équipe de son laboratoire composée de Laurent Mucchielli et de Christian Mouhanna (respectivement directeur et chargé de recherches au CNRS au CESDIP), M. Mattely a participé à la rédaction d'un article de synthèse mettant en perspective le rattachement de la Gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur.
Cet article " Feu la gendarmerie nationale " fut achevé fin décembre 2008 et a fait l'objet d'une publication dans Pouvoirs Locaux - Les cahiers de la décentralisation (numéro 80 I/2009. La documentation française).
Suivant un usage habituel, le travail de recherches a été doublé d'une communication plus grand public, destinée à participer de l'information des citoyens et du débat d'idées sans lequel il n'est pas de société démocratique.
Cette communication fut opérée à l'initiative de Laurent Mucchielli, directeur du CESDIP, dans " Rue89 ". intitulé " La gendarmerie enterrée à tort dans l'indifférence générale " mis en ligne le 30 décembre 2008.
Europe 1, organisant une émission sur le thème du rattachement de la Gendarmerie nationale à l'Intérieur, et intéressée par la publication de messieurs Matelly, Mouhanna et Mucchielli, prend contact avec eux en vue de participer à un direct : " Les rendez-vous d'Europe 1 soir ", le 31 décembre 2008 en début de soirée. En raison des indisponibilités des co-auteurs en cette nuit de réveillon, M. Matelly s'avère le plus à même de participer à l'émission, qui réunit deux autres spécialistes (M. Jean-Yves Fontaine, sociologue et auteur de nombreux ouvrages sur les gendarmes et M. Jean-Dominique Merchet, journaliste accrédité Défense et spécialiste des questions militaires à Libération).
Dans chacune des publications, M. Matelly est cité strictement et exclusivement en tant que chercheur au CESDIP-CNRS.
Nonobstant le cadre scientifique de l'expression de la réflexion et des précautions prises pour séparer clairement cette oeuvre de l'esprit et son commentaire de ses fonctions d'officier, le ministre de la Défense a engagé des poursuites disciplinaires à son encontre le 7 janvier 2009.
Déféré le 16 juin 2009 devant un conseil d'enquête ce dernier notifié un avis le 14 octobre 2009 qui indique " que le chef d'escadron Matelly Jean-Hugues, de la région de gendarmerie de Picardie, devrait faire l'objet d'une radiation des cadres par mesure disciplinaire ".
Suivant cet avis, le président de la République a par décret du 12 mars 2010 prononcé sa radiation pour manquement réitéré au devoir de réserve. (voir notamment l'article de Rue 89 ).
Le référé-liberté introduit pour obtenir la suspension de l'exécution de cette décision a donc été immédiatement rejeté au "tri". Il a déjà été jugé qu'une exclusion temporaire d'un an, fût-elle illégale, ne constituait pas, en elle-même, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative relatives au référé-liberté (CE, ord., 27 juin 2002, Centre hospitalier général de Troyes : AJFP, n° 6, 2002, p. 50).
Mais surtout, tous les référés du juge Bidalou ont été rejetés pour défaut d'urgence (reproduit juste pour le plaisir des amoureux du contentieux car ces jurisprudence font le bonheur des enseignants en droit de la fonction publique car on a toujours un arrêt Bidalou à citer en traitant du contentieux disciplinaire):
"Considérant que M. A, radié des cadres de la magistrature une première fois par un décret du 10 mars 1981 pris à la suite d'une sanction de révocation infligée le 9 février 1981 par le Conseil supérieur de la magistrature, puis réintégré par un décret du 26 août 2001 [sic: 1981 par Mitterrand/ Badinter] et nommé substitut du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pontoise, avant d'être à nouveau radié de la magistrature par un décret du 24 juillet 1987, demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sa réintégration dans les fonctions de juge au tribunal de grande instance de Thionville chargé du service d'instance d'Hayange, auxquelles il avait été nommé par un décret du 17 janvier 1978 ; qu'au soutien de ses conclusions il fait valoir que le décret de radiation des cadres du 10 mars 1981 serait devenu caduc faute de lui avoir été notifié et que le décret du 26 août 1981 qui, après l'avoir réintégré dans son grade, l'a nommé à des fonctions du parquet sans son consentement, violerait le principe constitutionnel d'inamovibilité des magistrats du siège ; (...)
Considérant d'autre part, que le principe d'inamovibilité des magistrats du siège n'a pas un caractère absolu ; qu'il ne fait pas obstacle à ce que soit prise à l'encontre d'un magistrat du siège, dans le respect des garanties prévues par la Constitution et la loi organique, une sanction disciplinaire pouvant consister notamment en un déplacement d'office, une mise à la retraite d'office ou une mesure de révocation ; que le requérant ne saurait ainsi prétendre que le décret du 17 janvier 1978 qui l'avait nommé à des fonctions de magistrat du siège devrait continuer à produire effet, alors qu'il a fait l'objet d'une sanction de révocation prononcée par le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme organe disciplinaire des magistrats du siège, suivie d'un décret le radiant, par voie de conséquence, des cadres de la magistrature ; qu'ainsi le moyen tiré de la violation du principe d'inamovibilité des magistrats du siège ne saurait, à l'évidence, être accueilli ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête présentée par M. A doit être rejetée par application de la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative ;
- Sur l'application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3000 euros " ;
Considérant que la présente requête, qui reprend une argumentation déjà écartée à maintes reprises par le Conseil d'Etat statuant au contentieux à la suite de pourvois formés par le même requérant, revêt un caractère abusif ; que s'y ajoute la circonstance aggravante tenant à ce que l'intéressé, sous couvert de mettre en oeuvre une procédure d'urgence instituée dans l'intérêt de la sauvegarde des libertés fondamentales, multiplie les injures à l'encontre d'autorités politiques ou judiciaires ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'infliger à M. A une amende de 3000 euros ;"
(CE, 10 Juillet 2006, Bidalou, N° 294971; voir aussi toujours sur le fondement du L.522-3 du CJA : CE 20 Octobre 2009, Bidalou, N° 332512)
Espérons que le Conseil d'Etat donnera une suite favorable à la demande de référé-suspension de M. Mattely.
NB: nous remercions nos collègues Matelly, Mouhanna et Mucchielli de nous avoir adressé la pétition, le référé-liberté et l'ordonnance du 30 mars 2010.