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Mahmoud Darwich né en Galilée en Palestine -enterré dans un lopin de terre près de Ramallah

Par Caraffa

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Mahmoud Darwich né en Galilée en Palestine -enterré dans un lopin de terre près de Ramallah

 

"Si cet enfer pouvait cesser cinq minutes !"

« Vous n’êtes pas d’ici », leur disait-on là-bas.

« Vous n’êtes pas d’ici », leur répétait-on ici.

Comment arriver jusqu’à cette odeur de café ?

Qui peut leur fabriquer une mémoire nouvelle, ombre brisée d’une vie lointaine dans un carcan de métal hurlant ? Y a-t-il au monde assez d’oubli pour qu’ils oublient ?

Mahmoud Darwich est un homme sensuel pris dans les rets d' un conflit sans savoir comment il se sentira adopté un jour ou l 'autre . Souhait d' enfant dans l ' homme blessé , pas même le café, juste l 'odeur du café .

Il flotte un résidu d'incongruité dans ce texte" du café",et la réflexion de Mahmoud Darwich , l'exilé , le fils d' un pays flottant entre des décideurs dénués de sagesse , qui privilégient le combat et la mort au détriment des petits matins qui enchantent le jour nouveau .

Alors , ce café -là , comme on aurait eu plaisir , fraternité à le prendre avec lui . un petit " Cahouah "(قهوة), entre amis, pour ceux qui ont quitté leur pays de naissance , c'est le lien des hommes entre eux ..

Une mémoire pour l'oubli de Mahmoud Darwich.

Extrait /

Je veux sentir l'odeur du café. Cinq minutes. Je veux une trêve de cinq minutes pour un café. Je ne veux rien d'autre que me préparer un café. Cette obsession me donne un but, un objectif. Tous mes sens sont tendus vers cet unique appel. Ma soif n'a plus qu'un seul but : un café.

Le café, pour l'amateur que je suis, c'est la clé du jour.

Le café, pour le connaisseur que je suis, il faut se le préparer soi-même et ne pas se le faire servir. Car celui qui vous l'apporte y ajoute ses paroles, et le café du matin ne supporte pas le moindre mot. Il est aube vierge et silencieuse. L'aube – mon aube – est étrangère à la moindre parole. L'odeur du café boit le moindre des bruits, fût-ce un simple bonjour, et se gâte.

Le café est donc ce silence originel, matinal, circonspect, solitaire, où tu te tiens, tout seul, avec cette eau que tu choisis, paresseusement et coupé du monde, dans une paix retrouvée avec les êtres et les choses. Eau que tu verses lentement, lentement, dans le petit récipient de cuivre, aux reflets sombres et mystérieux, dorés, presque fauves, avant de le poser sur un feu doux, ou mieux encore sur du charbon de bois.

Écarte-toi un peu de ce qui chauffe à feu doux pour observer, en bas, la rue qui s'éveille et qui part à la recherche de son pain, depuis que le singe est devenu homme. Rue portée par les charrettes des marchands des quatre-saisons, les couplets naïfs des commerçants qui vantent leurs marchandises. Respire l'air de la fraîcheur de la nuit, retourne ensuite à ton fourneau – ah si seulement c'était un feu de bois ! – et observe, avec calme et mesure, le jeu des éléments : le feu qui prend des reflets vert et bleu, l'eau qui se ride et exhale de petites billes blanches qui se transforment en pellicule brillante, laquelle ne tarde pas à s'épaissir doucement, pour crever en grosses bulles, qui s'élargissent, toujours plus rapidement, et se brisent, se gonflent à nouveau et se brisent, avides de dévorer les deux cuillerées de sucre dont l'absorption provoque un discret sifflement devenu, quelques instants plus tard, gargouillis bouillonnant, impatient d'une nouvelle offrande, celle de la poudre rugissante, étalon de senteurs et de virilité orientale.

Éloigne le récipient du feu et entame le dialogue de la main, encore vierge de toute trace de tabac ou d'encre, avec la première de ses créations, avec sa création première, qui délivrera, en cet instant, la saveur de ta journée et le verdict des augures. Elle te dira si tu dois travailler ou te tenir à l'écart du monde. De ce premier geste de son rythme, de ce que lui confère le monde du sommeil encore ouvert sur la journée passée, de ce qu'il révèle de ton âme, dépendra la couleur de ta journée.

Le café, la première tasse de café, est le miroir de la main, de cette main qui tourne le breuvage. Le café est le déchiffrement du livre ouvert de l'âme, devin des secrets que le jour renferme.

Depuis la mer, l'aube de plomb continue à progresser, portée par des sons comme je n'en avais jamais entendu. La mer toute entière est farcie des obus qui s'y perdent. La mer n'est plus liquide, se fait métal. La mort peut-elle se parer de tous ces noms ? Nous avons dit que nous sortirions. Alors, pourquoi cette pluie rouge, noire, grise, sur ceux qui s'apprêtent à sortir et ceux qui resteront, hommes, pierres, arbres ? Nous avons dit que nous sortirions. « Par la mer », ont-ils exigé. « Par la mer », avons-nous accepté. Alors pourquoi arment-ils vagues et embruns de ces canons ? Pour que nous nous hâtions davantage ? Ils doivent commencer par lever le siège, du côté de la mer, ils doivent ouvrir la dernière voie pour laisser couler notre dernier filet de sang. Tant qu'il en sera ainsi – et il en est ainsi – nous ne sortirons pas. Je prépare donc mon café !

[…]

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Une seule cuillerée de café moulu, magnifié par le parfum de la cardamome, mise à flot, lentement, dans les frissonnements de l'eau chaude. Tu mélanges, lentement, avec la cuillère, d'un geste circulaire au début, puis de haut en bas. Tu ajoutes une seconde cuillerée que tu incorpores en remuant de haut en bas puis en tournant de droite à gauche, avant d'en verser une troisième. À chaque fois, éloigne un instant le récipient du feu. Ensuite, « charge » le café, c'est-à-dire remonte la cuillère, lourde de toute poudre imbibée d'eau, et replonge-là, plusieurs fois, jusqu'à ce que le liquide se remette à bouillir en conservant à sa surface une pellicule blonde qui surnage mais menace de couler. Ne la laisse pas s'enfoncer. Éteins le feu. Ne t'occupe pas des obus. Emporte le café dans l'étroit couloir, verse-le précautionneusement, amoureusement, dans la tasse blanche – celles qui sont trop sombres ne permettent pas au café de s'exprimer. Observe les filets de vapeur, le voile odoriférant qui s'élève. Allume ta première cigarette maintenant, première cigarette roulée tout exprès pour ce café, cigarette au goût d'universel que nulle autre ne saurait égaler, hors mis celle qui suit l'amour, tandis que la femme exhale son ultime moiteur, sa dernière plainte.

Me voici à nouveau au monde. Dans mes veines circule la drogue stimulante, source vitale née de la rencontre, par le rituel de ma main, de la caféine et de la nicotine. Et je me demande : Comment peut écrire la main qui ne sait pas préparer le café ? Combien de cardiologues, fumeurs invétérés, ne m'ont pas conseillé d'arrêter de fumer et de boire du café ? Et combien de fois ne leur ai-je pas répondu en plaisantant : L'âne ne fume pas, ne boit pas de café, mais il n'écrit pas non plus !

Je connais mon café, celui de ma mère, celui de mes amis. Je les reconnais facilement, je sais leurs différences. Aucun café ne se ressemble et mon éloge du café est aussi un éloge de la différence. Il n'existe rien qu'on puisse appeler « le goût du café » ; ce n'est pas un concept, une matière quelconque, une chose en soi. Chacun a son propre café, à tel point que je peux juger d'un homme, pressentir son élégance intérieure, à l'aune du café qu'il m'offre. Un café peut sentir la coriandre, c'est que la cuisine est en désordre ; la caroube, l'hôtel est pingre ; le parfum, la maîtresse de maison est sensible à l'apparence des choses. Il y a des cafés qui ont dans la bouche une consistance presque spongieuse : tel est le café des gauchistes infantiles ; d'autres qui laissent un goût de vieux parce qu'ils ont bouilli trop longtemps : signe d'un extrémisme de droite. Certains n'ont plus que le parfum de la cardamome : c'est le style des parvenus.

Aucun café ne ressemble à un autre, et chaque maison, chaque main, possède le sien ; chacun possède quelque chose qui le rend différent des autres.

Je reconnais le café de loin. Il commence par suivre la voie de droite, puis il serpente, ondule, soupire, dévale pentes et collines, s'enroule autour d'un chêne ou d'un châtaignier, s'échappe pour fondre dans la plaine, se retourne derrière lui, éclate en mille particules du désir de gravir à nouveau le sommet de la montagne et s'élève, porté par les notes de la flûte, en route pour sa maison première.

L'odeur du café est réminiscence de l'élément premier et retour à lui, parce qu'elle remonte au lieu originel et qu'elle est errance millénaire toujours inachevée. Le café est un lieu. Le café est un philtre qui distille le dedans vers le dehors, qui unit ce qui ne saurait s'unir, sauf dans l'odeur du café. Le café est ce lait maternel toujours offert pour étancher la soif des hommes au loin, point du jour né d'un goût amer, lait de virilité. Le café est géographie.

Tous droits réservés © Editions Actes Sud.

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