Inflation, le retour ? par Alain Sueur

Publié le 01 avril 2010 par Alains

Malgré la crise, les prix montent. Sommes-nous à la veille d’un retour de l’inflation ? Il faut s’entendre sur les mots : l’inflation est, certes, la hausse des prix, mais l’inflation véritable (qui fait peur) est la hausse durable et auto-entretenue à la fois des prix, des revenus et des coûts. Nous n’y sommes pas, même si certains indices permettent de penser que l’on s’en rapproche.

Les prix à la consommation en France ont par exemple crû de 0,6 % en février par rapport au mois précédent en raison notamment de la fin des soldes d'hiver et des prix des services. Ils ont progressé de 1,3 % sur un an, selon l'Insee qui anticipe l’inflation moyenne 2010 à 1,2 %. Une stabilité qui augure mal de la croissance à venir comme de la régression du chômage (mais ces chiffres ne demandent qu’à être révisés). Aux Etats-Unis, la hausse des prix va sur un rythme supérieur à 2% (après -0.34% en 2009 et +3.85 en 2008). La Chine cherche à la contenir sous 3 % (2.7% en février en glissement annuel, déjà).


Les causes habituelles d’inflation sont bien connues :

•    Excès de demande sur l’offre disponible, notamment en cas d’innovation technologique ;

•    Excès des salaires (par pénurie de main d’œuvre) ou de pouvoir d’achat, qui poussent la consommation alors que l’offre ne suit pas ;

•    Hausse des matières premières, des produits agricoles ou de l’énergie importée qui accroît les coûts de production ;

•    Excès de liquidités sur les marchés financiers qui fait monter le prix des actifs (actions, immobilier, matières premières) et renchérissent les coûts ;

•    Devise faiblissante qui pousse à acheter vite les produits importés pour éviter de payer plus cher demain;

•    Découragement de l’épargne par des rémunérations trop basses (taux, loyers), excès de risques (actions) ou fiscalité dissuasive (écrémer son compte lorsqu’on frise l’ISF).

L’inflation est habituelle aux pays jeunes, qui ont de gros besoins de consommation à satisfaire. Elle est rare dans les pays vieux, qui préfèrent les rentes et la sécurité et dont les besoins sont en général satisfaits (sauf santé). 

Or la mondialisation vient bouleverser tout cela. L’inflation importée touche nos pays et accroît les dépenses obligatoires : gaz (que l’on paye dès aujourd’hui de 9% plus cher), assurances (augmentées par les sinistres inhabituels), baguette (le prix du blé monte sur le marché mondial), loyers (tirés par les prix de l’immobilier). La liste n'est pas limitative. En contrepartie, nous pouvons acheter des casseroles et des textiles chinois à bas prix, et voir le prix des appareils électroniques baisser régulièrement tout en étant aidé par l'État pour changer de voiture. Mais pour combien de temps ?

Qu’il était beau le temps de l’euro fort, disent déjà les nostalgiques… Peu importait la dérive inflationniste chinoise alimentée par les hausses de salaires liées aux pénuries de main d’œuvre dans les provinces côtières. Peu importait l’appétit démesuré de pétrole, d’uranium et de métaux chinois et indien. Nous exportions mal mais pouvions financer nos Etats providence sans problème, car peu importait le déficit, l’euro restait plus fort que dollar, yen et autres livres sterling.

Sauf que… la crise est passée par là et les déficits d’Etat se sont envolés pour devenir insoutenables. L’euro n’étant qu’une simple monnaie de libre-échange, une unité de compte et non une monnaie-puissance, les écarts de croissance, de fiscalité et de dépenses publiques entre États de la zone sont devenus tendus. Quelle fourmi aime à financer une cigale ? D’où crise grecque et chute de l’euro. Cette baisse de la devise va permettre aux Allemands d’exporter encore mieux mais va augmenter la dette grecque libellée en dollars. Tout le monde va payer le pétrole plus cher et les produits chinois (indexés sur le cours du dollar) aussi. Les impôts et taxes vont augmenter pour renflouer les caisses des Etats, une fois une croissance minime revenue. 

Tout cela paraît déflationniste ? Voire… En situation de croissance très faible, un pays n’est plus maître du mouvement. 

Il subit l’inflation importée par la hausse des prix mondiaux sans offrir assez de biens exportables en contrepartie.

L’Etat devient plus présent dans l’économie par défaillance de la société civile. L’impôt sur le patrimoine et la redistribution viennent pallier l’absence de rentrées en TVA et le faible emploi. Les politiciens s'immiscent dans la gestion des grandes entreprises, "convoquant" à l'Élysée les dirigeants en cas de fermeture d'usines ou pour lâcher sur les prix payés aux producteurs.

Les comportements des ménages, des entreprises et des Etats s’en trouvent modifiés : et cela est inflationniste. 

•    Les ménages réclament une quasi indexation des salaires et la revalorisation des prestations sociales,

•    Les entreprises répercutent les coûts sur leurs prix et délocalisent pour produire moins cher mais surtout pour vendre ailleurs,

•    Les Etats bénissent l’inflation comme le Royaume-Uni après la seconde guerre mondiale où le parti travailliste britannique y avait choisi la relance keysénienne comme excellent moyen de se débarrasser de la dette

•    La morale (ou l’idéologie) justifie l’inflation car elle ruine le rentier (considéré comme parasite improductif) et le propriétaire (dont les loyers ne suivent les prix qu’avec retard). Evidemment, l’inflation ne touche pas aux très riches, investis en biens réels gérés (actions, parts d’entreprises, immobilier bien placé, matières premières) ou ayant le pouvoir de s’auto-accorder bonus, stock-options et salaires équivalents à ceux de leurs pairs. Il s’agit donc d’une morale de façade, pas de véritable redistribution sociale, mais les politiciens ne sont pas économistes.

L’inflation serait-elle de retour ? Je le crois, lentement au début, dans les prochaines années, plus vite ensuite. Le tiers de l’humanité y pousse à marche forcée (Chine, Inde, Brésil, Nigeria, etc.). Le pays leader (les Etats-Unis) cherche à innover sans cesse pour rendre les technologies rentables, poussant les prix vers le haut. Les Etats providence s'activent pour forcer l'économie à financer moins la production que le social.

L’inflation revient à pas feutrés dans le monde, mais pas la croissance en Europe, ce qui signifie la stagflation. Nous l’avons connue en Occident dans les années 1973-1982 et au Japon dans la décennie 1990. Sans vraie croissance ni énergie disponible à coûts maîtrisés, nous Européens serons plus pauvres, encore plus inquiets sur l’avenir en situation de croissance faible, donc enclins à épargner pour notre santé et nos vieux jours plus qu’à consommer et à relancer la machine. Nous subirons les prix imposés par le reste du monde : tous les inconvénients, aucun des avantages ?