Haïti: Va-t-on reconstruire sans chercher à savoir ?
Comment peut-on parler de la reconstruction de ce pays sans vraiment prendre en compte aujourd'hui la menace sismique ? Pourquoi un élément aussi important ne ressort de manière précise dans aucun des plans élaborés depuis le séisme du 12 janvier par les différents organismes privés ou étatiques ? A partir de quelles données en relation avec la sismicité du pays cette reconstruction se fera-t-elle ?
Autant de grandes interrogations posées par l'ingénieur Claude Prépetit à la veille de la conférence des bailleurs de fonds du 31 mars à New York et au cours de laquelle le pays s'apprête à recueillir les milliards de dollars promis pour sa reconstruction.
Intervenant dans le cadre d'une conférence organisée le dimanche 28 mars par la Fédération des Amis de la Nature (FAN) pour son vingt-quatrième d'anniversaire, Claude Prépetit qui se fait appeler « l'homme du moment » a confié que c'est dommage que les documents en question reprennent encore une fois et essentiellement les mêmes clichés d'avant le 12 janvier 2010 : la gouvernance économique, la santé, l'éducation, la production agricole... pour traiter de la reconstruction de pays. Qu'en est-il de la menace sismique ?
La prise en compte des causes de la tragédie du 12 janvier est particulièrement absente dans ces rapports, plans et n'ont fait l'objet d'aucun débat approfondi, souligne l'ingénieur Prépetit. Une telle démarche, malheureusement, ne fait qu'hypothéquer les efforts de redressement possibles et les investissements souhaités, fait-il remarquer.
L'ingénieur Prépetit avance qu'il faut aujourd'hui approfondir les connaissances acquises sur la sismicité du pays à partir du tremblement de terre du 12 janvier. Il confie qu'à partir de la venue des multiples experts internationaux à son chevet, Haïti a pu disposer en moins d'un mois de plusieurs cartes indicatrices, quoiqu'approximatives, sur sa sismicité. Mais la recherche dans le domaine, soutient le conférencier, doit aller au delà de cette forte implication de l'international durant cette brève période.
« Les évènements du 12 janvier nous ont appris plein de choses, mais il reste tant à savoir en vue d'une prise en compte réelle de l'aléa sismique dans ce pays et dans ses différentes zones», déclare celui qui avant le séisme du 12 a longtemps prêché dans le désert.
Maintenant, Prépetit plaide pour un programme national sur la menace sismique comprenant différents volets dont la recherche, la formation, l'éducation et la sensibilisation. C'est ce programme majeur et ambitieux, argumente-t-il, qui fait beaucoup défaut dans les documents qui seront soumis pour la collecte des milliards de la reconstruction.
Après New York, quand bien même des fonds seraient alloués à la reconstruction de nos établissements scolaires, nos centres de santé et autres infrastructures sociales et économiques, Prépetit s'interroge pour dire dans quel environnement ces constructions prendront place ? Même quand nos ingénieurs seront au parfum des règles antisismiques, quelles informations vont-ils détenir sur nos sols et sous-sols pour dimensionner les équipements en question pour leur permettre de faire face au prochain tremblement de terre ?
Et l'interrogation majeure du géologue : « Dans quelles zones va-t-on reconstruire les bâtiments publics et privés endommagés en tenant compte des lignes de failles existantes, actives ou non ? ». Voilà, lance Prépetit, où le bat blesse : personne ne pense à faire cette cartographie précise des risques sismiques, mais tout le monde parle des millions de la reconstruction.
La reconstruction, elle n'est plus que nécessaire. Les grands axes et chantiers de développement, ils sont attendus depuis des années par la population. Mais on ne doit pas perdre de vue l'essentiel, semble dire l'ingénieur Prépetit : pourquoi un séisme d'une magnitude de 7.3 ayant duré environ 35 secondes a pu faire tant de dégâts ?
La conférence de la FAN, déroulée à Palm Events à Pétion-Ville, a mis également en lumière un autre point non clairement élaboré dans les documents conçus par les experts nationaux et internationaux : un vrai plan d'aménagement du territoire lié à une politique sérieuse de la gestion de l'espace. L'agronome Jean André Victor a eu à traiter le sujet pour une assistance somme toute assez pessimiste quant au succès de ces différents plaidoyers auprès des instances nationales et internationales.
Johnny César ETIENNE
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