Gallimard vient donc, après plusieurs autres éditeurs, d'annoncer sa décision d'attaquer en justice Google. Je ne suis ni juriste ni spécialiste de ces questions, juste un auteur qui utilise régulièrement Googlebooks dans son travail, que ces attaques choquent formidablement.Je sais bien qu'il est en France de bon ton de critiquer Google, nouveau Leviathan, mais comment oublier ce que GoogleBooks, que ces procédures judiciaires menacent, m'apporte chaque jour. Ce service gratuit et, faut-il le rappeler? sans publicité, c'est-à-dire sans revenus pour Google, me donne accès à des milliers d'ouvrages autrement inaccessibles dans plusieurs langues alors que ces éditeurs qui attaquent aujourd'hui Google conservent dans leurs caves des milliers d'ouvrages qu'ils ne rééditeront jamais, qui sont donc à ce titre pour toujours inaccessibles au commun des lecteurs. S'il s'agissait d'espèces en voie de disparition, on parlerait de génocide et des ONG se battraient pour leur protection. C'est la sauvegarde de ce patrimoine culturel qu'a entrepris Google que La Martinière, Gallimard et quelques autres menacent.Beaucoup de ces ouvrages ainsi menacés sont anciens, mais pas tous. Je cherchais il y a quelques jours dans une grand librairie de Saint-Germain des Près, Ruines de Vienne, un roman de Judith Brouste publié il y a moins de deux mois chez Flammarion dont on m'avait (à juste titre) dit le plus grand bien. Il avait déjà disparu des rayons. Le libraire m'a bien évidemment proposé de le commander, mais qui peut s'en satisfaire? Le taux de rotation des livres dans les librairies est tel que la plupart s'évanouissent quelques semaines à peine après avoir été mis sur le marché.On me dira qu'il faut protéger les auteurs, qu'ils ont besoin de gagner leur vie. Sans doute. Mais comment oublier que le droit de la propriété intellectuelle a une histoire? Roger Chartier et les historiens du livre nous ont montré combien la notion d'auteur est récente (son nom n'apparaissait pas sur les premiers livres imprimés) et tous les sociologues et théoriciens de la littérature savent combien elle a été, récemment attaquée tant par les marxistes à la Macherey que la par la sociologie américaine (je pense à Howard Becker qui montrait, dans Le monde des arts, combien une oeuvre était une production collective). Et tous les bibliophiles connaissent ces ouvrages des 17ème et 18ème siècles qui reprenaient sans citer leurs sources des textes pris à d'autres. Un examen plus précis de ce qui se passe vraiment, montrerait à tous nos éditeurs en veine de chicane que jamais il n'a été plus facile, grâce justement à Google, de démasquer les imposteurs qui copient sans les citer d'autres auteurs. J'irai même plus loin : l'un des effets bénéfique d'internet est d'inciter ceux qui écrivent à citer leurs sources de manière plus systématique, ce qui protège bien mieux la propriété intellectuelle des auteurs que tout autre mécanisme.Quant à la dimension financière! Elle ne peut que faire sourire ces milliers d'auteurs dont les droits sont à ce point minuscules qu'ils leur permettent à peine d'inviter une fois par an leur famille au restaurant. Faut-il, pour protéger les revenus de quelques vedettes, priver l'ensemble du public d'ouvrages édités un jour et condamnés pour l'éternité à pourrir dans de lointains dépôts? Plutôt que de s'en prendre à Google, le monde de l'édition devrait ouvrir les yeux. Pourquoi un lecteur qui, c'est mon cas, possède plusieurs milliers de livres et en achète plusieurs chaque semaine, fréquente-t-il presque tous les jours GoogleBooks? Pour faire des économies? Non! pour accéder à des textes que le système actuel rend inaccessibles, pire, même, invisibles et pour les consulter avec des outils modernes qui en modifient complètement la lecture. En voulez-vous un exemple? Dans un passage des Illuminations qui évoque le grand Nord et ses baleines, Rimbaud utilise le mot spunk, mot anglais qui veut aussi bien dire sperme que courage. J'ai voulu vérifier si Melville l'utilisait dans Moby Dick. Il m'a suffi de quelques secondes pour découvrir qu'il n'y était pas. Quels outils, nos chicaniers me proposent-ils pour faire la même chose?Que le modèle de la gratuité de Google pose problème aux éditeurs, je le comprends. Ils font un travail indispensable qui mérite rémunération. Mais justement, plutôt que de s'arcbouter sur un modèle économique dont chacun sent bien qu'il est dépassé, n'auraient-ils pas plutôt intérêt à rechercher un modèle qui réduise considérablement le coût d'accès à leurs produits (car c'est bien ce qu'autorise la technologie) et leur permette en même temps de gagner leur vie. Il suffirait, par exemple, qu'ils incitent Google à faire payer à ses visiteurs, un droit de consultation de leurs livres. Quant aux auteurs qui se plaignaient hier de leurs éditeurs et protestent aujourd'hui contre Google, ils feraient mieux de le consulter un peu plus souvent et de réfléchir à un nouveau modèle économique. Ce n'est certainement pas impossible. Dans tous les cas de figure, il serait scandaleux que l'avenir de notre culture, la défense et la protection de notre capital intellectuel soient laissées au seul jeu des groupes de pression économique. Les lecteurs que nous sommes ont aussi leur mot à dire. Les chiffres de consultation des sites de Google montrent où vont nos votes. Il doivent, eux aussi, être pris en compte!