Daniel J. Ikenson – Le 1er avril 2010. Le rapport semestriel du Trésor américain sur les pratiques de taux de change, qui devrait être publié en avril, qualifiera-t-il la Chine de « manipulateur de devise », comme il se le dit de plus en plus ? Si c'est le cas, cette conclusion amorcerait des « procédures accélérées » de négociations bilatérales, ouvrant la porte à une législation « corrective » visant à contraindre la Chine à réévaluer sa monnaie.
Pour le Congrès américain et le président Obama, la question n'est pas la sous-évaluation du renminbi en soi, mais l'important déficit commercial américain avec la Chine. Pour eux, la réévaluation de la monnaie signifie la réduction du déficit commercial à zéro — ou mieux encore, sa transformation en un excédent. Mais essayer de légiférer sur la balance commerciale est un exercice inutile.
De nombreux économistes, citant les réserves d’environ 2,4 milliards de dollars étrangers, estiment que le renminbi (« monnaie du peuple », aussi appelée le yuan) est en fait sous-évalué. Ils sont en désaccord sur l'ampleur de la sous-évaluation, et il y a une bonne raison pour cela : personne ne peut connaître la vraie valeur d'une monnaie à moins que cette monnaie fluctue librement et qu’il n'y ait pas de restrictions sur les flux de capitaux. À moins que la Chine permette ces deux choses, les économistes ne peuvent que continuer à produire des estimations très variables de la sous-évaluation du yuan.
Il est vrai que peu importe ce que la Chine fait de sa monnaie, beaucoup à Washington continueront à dire que le renminbi est sous-évalué aussi longtemps que les importations américaines en provenance de la Chine dépassent les exportations américaines vers la Chine. Mais l’appréciation du renminbi aura-t-elle l'effet prévu : réduire le déficit commercial ? Les preuves empiriques indiquent que ce ne sera pas le cas.
Entre juillet 2005 et juillet 2008, le renminbi s'est apprécié de 21 pour cent par rapport au dollar. Le déficit commercial américain par rapport à la Chine est passé de 202 milliards de dollars en 2005 à 268 milliards de dollars en 2008. Il est vrai que les exportations américaines vers la Chine ont augmenté, comme cela était anticipé — de 28,4 milliards de dollars, soit une croissance importante de 69,3 %. Mais la part de cette augmentation imputable à l'appréciation du renminbi est très discutable.
Les exportations américaines vers la Chine étaient déjà sur une trajectoire ascendante. Elles avaient augmenté de 19,1 milliards de dollars au cours des trois années précédentes, alors que le yuan était fixé à 8,28 pour un dollar. L'augmentation de la dernière période pourrait être attribuable à la croissance naturelle des ventes dues à la pénétration de marché et aux engagements qui étaient déjà entrepris. En outre, en 2007 et 2008, lorsque l'appréciation du renminbi a été la plus forte (à 4,7 % et 9,5 %, respectivement), les augmentations annuelles des exportations américaines vers la Chine se sont réduites progressivement.
Du côté des importations, il n’y a pas de preuve convaincante qu'une devise chinoise qui s'apprécie décourage la consommation américaine de produits chinois. Alors que le renminbi s’appréciait entre 2005 et 2008, les importations américaines en provenance de Chine ont augmenté de 94,3 milliards de dollars, ou 38,7 %. Non seulement les Américains expriment une forte inélasticité de leur demande au prix, mais ils ont en effet augmenté leurs achats des importations chinoises, violant en apparence la loi de la demande.
Une des raisons pour laquelle la consommation américaine de produits chinois a continué d’augmenter, malgré l'augmentation des prix relatifs, pourrait être qu'il y a une pénurie de substituts aux produits fabriqués en Chine sur le marché américain. Dans certains cas, il n'y a pas d’équivalent disponible produit nationalement. En conséquence, les consommateurs américains ont été confrontés au choix d'acheter des articles chinois à prix plus élevé ou de renoncer définitivement à la consommation d'un produit.
Il est peu probable que les membres du Congrès qui soutiennent l'idée de pousser la monnaie chinoise à s’apprécier annonceraient fièrement à leurs électeurs qu'ils vont réduire volontairement les revenus réels des américains. Mais c'est pourtant là l'effet de la dépréciation relative du dollar.
La période 2005-2008 nous indique autre chose d’instructif. Le fait qu'une augmentation de 21 % de la valeur du renminbi a coïncidé avec une hausse de 38,7 % de la valeur des exportations chinoises signifie que la quantité de produits chinois demandés par les Américains après la réévaluation a augmenté de 14,6 %. La loi de la demande ne peut tout simplement pas être défiée de la manière que ces chiffres le suggèrent. Il est clair que ce qui s'est passé est que les exportateurs chinois ont baissé leurs prix en yuan de manière à maintenir constants ou de réduire les prix payés par les clients américains après la conversion de devises. Cela a été un acte rationnel, rendu possible par le fait que l'appréciation du renminbi aurait réduit le coût de production pour les exportateurs chinois – en particulier ceux qui utilisent des matières premières et des biens intermédiaires importés.
Selon un nombre croissant de recherches, entre un tiers et la moitié de la valeur des importations américaines en provenance de Chine correspond effectivement à de la valeur ajoutée chinoise. L'autre partie, de la moitié aux deux tiers, représente les coûts de matériel, de main-d’œuvre et de gestion des autres pays en amont dans la chaine de production. Un renminbi plus fort rend les produits importés moins coûteux pour les producteurs chinois, qui peuvent ensuite réduire leurs prix à l'exportation. Cela atténue l'effet du réalignement monétaire souhaité par les politiciens américains, qui est de réduire les importations américaines en provenance de Chine.
Le monde se porterait mieux si la valeur de la monnaie chinoise était vraiment déterminée par le marché, permettant une meilleure allocation des ressources. Mais contraindre la Chine à réévaluer sous la menace de sanctions est peu susceptible de produire les résultats souhaités, mais très susceptible de déclencher des représailles coûteuses – et de nuire à beaucoup autour de la planète.
Daniel J. Ikenson est directeur du Center for Trade Policy Studies au Cato Institute.