L’important, dans un bon poisson d’avril, ce n’est pas qu’il soit en avril ou qu’il soit bel et bien un poisson. L’élément essentiel est qu’il ne dégage pas trop d’odeur, cette fragrance caractéristique de décomposition, provoquée par la putrescine et la cadavérine. Ce premier avril, j’ai trouvé quelques poissons. Manque de chance, ils refoulaient tous du goulot sévère…
Suite à de nombreux accords et une tension sociale apaisée, ce mois d’avril, il n’y aura pas la grève à la SNCF. Ah ah ah, la bonne blague ! La CFDT et la CGT ont déposé un nouveau préavis de grève pour le 6 avril prochain. Ce sera la troisième grève de la SNCF depuis le début de l’année, soit, en gros, une par mois. Et bien sûr, il y aura aussi une grève le 8 avril pour, cette fois, les guichetiers, agents de l’infrastructure, du matériel qui n’ont pas pu participer aux merguez-parties du 6. Il en faut pour tout le monde.
Rappelons que la SNCF a engrangé les bénéfices cette année et que cette rafale de grève est là pour redemander une redistribution des nombreux dividendes que l’entreprise publique encaisse goulûment. Ahem. Encore un poisson d’avril, bien sûr, puisque l’entreprise a enregistré 1 milliard de pertes cette année. Pour les négociations salariales, le timing est donc particulièrement approprié. C’est le service public, après tout. Ce n’est pas comme si l’entreprise avait des comptes à rendre, hein.
Bon, puisque dans le ferroviaire, le poisson n’est pas frais, rabattons-nous sur le maritime. La mer et les bateaux, le poisson, ils connaissent.
Et sans surprise, pif paf, la SNCM (l’équivalent infectieux de la SNCF au niveau de la Méditerranée) nous propose donc des tarifs exceptionnels sur ses services avec une baisse de 100% à partir de ce soir. Et pour une telle absence de prix, à quel service peut-on s’attendre ? À aucun, bien sûr.
Souriez, encore un nouveau poisson d’avril pas très frais, et encore un nouveau préavis de grève, illimitée, à partir de ce soir, a été déposé par – devinez qui – les syndicalistes CGT de cette magnifique entreprise qui récolte, années après années, des bénéfices insolents.
Vraiment, ces coïncidences de l’actualité, tout de même, sont troublantes. On croirait réellement à une France qui n’a pas évolué depuis … depuis 30 ans au moins ! Toujours les mêmes rengaines, toujours les mêmes préavis, toujours les mêmes qui font la grève.
Bon, puisque les transports en commun par le chemin de fer, ça pue, que les transports en commun par voie maritime, ça schlingue, il nous reste quoi ?
Les transports en commun par la route, pardi ! Et quel plus noble transport en commun que le Bus, magnifique destrier d’acier et de mazout, qui permet de cramer 40 litres d’énergie fossile pour chaque 100 km afin de transporter un chauffeur et deux ou trois olibrius en moyenne, le tout en provoquant des ralentissements et des embouteillages qui obligent les voitures particulières à surconsommer ?
Aaaah, le bonheur maintes fois renouvelé de se retrouver trimballé comme un sac de patates au milieu d’autres sacs à patates, le plaisir d’attendre sous la pluie un bus qui n’arrive pas, nous achemine en retard et tombe parfois en panne en plein milieu du trajet !
Avec un tel transport en commun, on ne peut avoir, enfin, qu’un Poisson d’Avril de Qualité !
Et pas de doute, c’est bien ce sur quoi on tombe : on apprend ainsi que les bus de Tremblay-en-France, charmante bourgade de la Seine-Saint-Denis, ont maintenant une option pyrotechnique qui permet aux habitants des cités festives et citoyennes de profiter d’un spectacle Son & Lumière, généreusement offert par les contribuables de la ville.
Mieux : l’ambiance générale assurera qu’aucune action préfectorale ou nationale ne viendra troubler les réjouissances. D’ores et déjà, la Police Nationale s’excuse d’avoir mis sous scellées les maigres fonds de la petite Association Culturelle de Quartier Pour L’Insertion Harmonieuse de Jeunes Déçus, et promet de laisser tout le monde tranquille dans les prochains jours.
Gageons que l’argent, une fois restitué, sera utilisé à des fins pertinentes comme, par exemple, des voyages en jet privé, ou l’organisation de croustillants concours pour élargir l’horizon des mots français. Cette dernière aimable plaisanterie du Francomot (c’est pas cher, c’est nous qu’on paye) a permis l’introduction de mots comme « bolidage » pour remplacer l’affreutorriblevilainmoche tuning.
On imagine ainsi sans mal les fiers pratiquants de cette discipline sportive de haut niveau qui consiste à choucrouter sa voiture par de puissants artifices chromés, lumineux, moumoutés et sonores, passer de l’utilisation d’un mot anglais qui, jusqu’à présent, a parfaitement réussi à définir ce qu’ils font sans les faire passer pour des papys séniles, vers un magnifique mot français créé de toute pièce dont l’odeur de naphtaline n’est pas sans évoquer celle, précédemment mentionnée, de la putrescine et de la cadavérine.
Vraiment, ce mois d’avril commence donc par de la bonne friture, de la poiscaille bien marinée et des petites blagounettes qui feront rire le moutontribuable.
Et pour un vrai bon poisson solide, allez plutôt sur Objectif Liberté. Au moins, là, c’est du solide, du mangeable, du qui sent bon.