Alizée : "Je ne peux pas faire tout le temps des choses très colorées"

Publié le 01 avril 2010 par Albumsono

L'ex-lolita poursuit sa mue. Avec son nouvel album «Une enfant du siècle», ­Alizée se réinvente en muse électro-pop plongée dans le New-York des années 1960. Le résultat d'une rencontre fructueuse avec le label électro Institubes. Rencontre.

Votre nouvel album «Une enfant du siècle» est née de la chanson «Fifty-Sixty» sur le précédent...

«Fifty-Sixty» était le deuxième single de «Psychédélices», écrit par le parolier Jean Fauque [collaborateur notamment d’Alain Bashung]. J’ai donc cherché à en faire des remixes. David Rubato, un des producteurs du label Institubes, en a envoyé un différent des autres. Pas du tout destiné aux clubs. C’était une nouvelle chanson. Les arrangements étaient un peu modifiés, le rythme ralenti, il avait rajouté des voix. J’ai donc fait un clip en reprenant sa version. Et rencontré Jean-René Etienne, le patron du label Institubes. De là, on est parti sur l’idée de faire un mini-album de transition, de cinq titres, autour du concept d’une jeune fille qui rencontre Edie Sedgwick, connaît la Factory et cette époque d’Andy Warhol. Du coup, j’ai rencontré les autres producteurs, Château Marmont, Rob, Para One. Qui finiront sur «Une enfant du siècle».

Au final, on se retrouve avec un véritable album…

Les chansons se sont multipliées et on a pu faire un vrai album de dix titres tout en gardant le concept de départ. Je voulais faire un album différent, d’un album classique et autobiographique. Il s’écoute comme un roman où chaque chanson raconte une histoire qui a vraiment sa place dans le track-listing.

Comment s’est passée la collaboration avec les producteurs ?

On est parti du remix de «Fifty-Sxity». Chaque producteur s’est inspiré de ça et était à l’écoute du travail des autres pour qu’il y ait une vraie cohérence entre les titres et que l’histoire soit là. J’ai reçu au fur et à mesure des chansons, quasiment terminées. Il ne manquait plus que la voix.

Il fallait ensuite se les réapproprier…

Oui, ce n’était que des maquettes avec une autre voix pour fil rouge ou simplement la mélodie au piano. Il fallait ensuite que je pose ma voix. Que j’y intègre mon univers. Le deal de départ, c’est que je ne voulais rien changer dans ma façon de chanter, dans ce que je suis. Après, c’est l’histoire d’une rencontre, d’un échange. Moi, mon chemin est tracé. Je sais ce que je voulais faire. Après eux ont apporté leur couleur, leurs sons, sans rien m’imposer. Je voulais faire un album de variété pop. Que les gens me reconnaissent.

On retrouve dans «Une enfant du siècle» des choses que vous aviez déjà commencé à mettre en place sur «Psychédélices», comme le parlé-chanté…

«Psychédélices», c’était le premier album que je produisais. J’ai pu choisir les choses, les personnes avec lesquelles je voulais travailler. Mais il y a forcément des imperfections. Même si j’étais bien entourée d’artistes avec de forts univers comme Bertrand Burgalat, Daniel Darc, Oxmo Puccino... L’approche était plus éclectique alors que là tous viennent du même endroit.

L’éclectisme de «Psychédélices» a pu dérouter ?

Peut-être. C’est vrai que le public français est vite déstabilisé. Aux Etats-Unis, et même dans d’autres pays, les artistes passent facilement d’un style à l’autre. Nelly Furtado, on l’a connue avec un album folk et elle est revenue avec un disque rap produit par Timbaland. Et les gens aiment et suivent. En France, c’est plus compliqué. Il ne faut pas lasser son public, ni le dérouter.

Peut-être que l’accumulation d’albums rendra les choses plus lisibles aussi à un moment…

Oui. Après, je pense aussi que j’ai grandi. On m’a connue j’étais très jeune. J’avais 15 ans. Et les gens ont eu du mal à me voir grandir. Vanessa Paradis, on l’a longtemps considérée comme une enfant et on lui a longtemps reparlé de «Joe les Taxi». On doit lui en reparler encore même. Moi, j’ai vécu un peu la même chose, même si les gens commencent à comprendre que j’ai dix ans de plus. Mes envies, mes goûts changent. Et on le ressent à travers la musique et à travers l’image.

Tu gardes quoi de toutes ces années d’apprentissage ?

Ca a été une très bonne expérience pour moi. Je pense que j’ai été à la meilleure école française. Mes producteurs [Mylène Farmer et Laurent Boutonnat] m’ont quasiment tout appris. Je n’aurais jamais pu produire mes disques si je n’avais pas travaillé avec eux. Mais à l’époque, l’image était déjà créée avant que je les rencontre. «Moi Lolita» était déjà écrite. Ils étaient auteurs-compositeurs. Tout était géré par eux. Maintenant, je n’ai besoin que de faire appel à des producteurs de musique. Là, je choisis les vêtements que je veux porter, les différentes éditions du disque. Mon rôle sur ce disque se rapproche un peu de ce que faisaient mes premiers producteurs. Déterminer une direction, une image. Tout contrôler. Après Institubes est compositeur de l’album.

Fifty-Sixty (David Rubato remix) :

En quoi l’univers de la Factory, de ces années là vous touche ?

Quand Jean Fauque m’a proposé le texte de «Fifty-Sixty», ça m’a attiré parce que j’ai toujours aimé Andy Warhol, la mode, New York. Puis on m’a proposé de faire un album concept autour de ça. Je trouvais intéressant de faire un album différent. Surtout autour de la figure d’Edie Sedgwick qui inspire une partie du disque qui est totalement à l’opposé de moi. Elle est morte à 28 ans. Moi, j’en ai 25. Elle était beaucoup dans la drogue, tout ça. C’était aussi l’occasion de parler de la Factory. De voir que tous ses artistes n’ont rien perdu de leur aura aujourd’hui. On continuera toujours à en parler. C’est quand même fascinant.

J’ai un peu l’impression qu’il y a à la fois la volonté de faire un album très contemporain et hors du temps…

J’ai voulu faire un album moderne. Qu’il marque les années 2010 comme «Lolita» a pu marquer les années 2000. Après il y a pleins de sons des années 1980. On peut mélanger pleins de chose. Mais il faut vivre avec son époque.

Il y a aussi l’esthétique de la pochette avec le noir et blanc…

Moi, j’aime beaucoup le noir et blanc. Les polaroids. J’aime les choses uniques. On ne développe plus les photos comme on n’achète plus de disques. C’est des choses qu’on perd et ça me dérange un peu.

Comment avez-vous abordé les textes ?

Je trouve les textes de Jean-René Etienne, qui dirige le label Institubes, du niveau de ceux de Mylène Farmer, qui est pour moi une référence. Le seul qui pouvait passer après elle pour moi c’était Jean Fauque. C’est le maître de l’écriture poétique. Il n’y a qu’à voir son travail pour Alain Bashung. Jean-René Etienne va bien dans ce style-là. Et je ne voulais pas écrire les textes moi-même. Et je ne voulais pas que les paroles ressemblent à ce qu’un enfant ou un ado aurait pu écrire. Il est important pour moi que dans mes disques il y ait une certaine lignée d’auteurs qui ont une façon d’écrire.

Il y aussi une forme d’humilité…

Je ne me vois pas chanter des choses simples. C’est une façon de se protéger aussi. Je n’aime pas parler de moi, étaler ma vie. Que les choses soient complexes, racontées à travers une histoire, ça m’arrange.

La difficulté c’est de s’y retrouver, de s’y exprimer…

Là forcément il y a quelques mots, quelques phrases de moi. Mais on me retrouve beaucoup moins que sur les autres albums.

Le disque dégage une forme de romantisme

Plus que sur les autres, mais c’est normal j’ai 25 ans. Je suis plus adulte qu’avant. Le côté romance apparaît plus.

Le disque explore aussi des choses plus sombres…

Je ne peux pas faire tout le temps des choses très colorées. Etre souriante. Ca n’existe pas les gens qui sont tout le temps comme ça. Je suis très heureuse, très épanouie mais il y a des jours où je n’ai pas envie. Où je suis plus mélancolique. Ca se ressent plus dans cet album.


Alizée - Limelight :


La Factory, c’est aussi les lumières qui éblouissent et peuvent corrompre. Ce sont des choses dont vous essayez de vous préserver…

Je ne me montre que quand j’ai quelque chose à proposer musicalement. Dès que la promo est terminée, ça n’a aucun intérêt que l’on me voit. Il faut bien faire la part des choses.

Il y a forcément aussi quelque chose de ludique à entrer dans cet univers…

On a d’abord la chance de faire un métier qui est d’abord une passion. Pour moi, tout ce qui artistique est ludique. Pour les prochains albums, je veux continuer à rencontrer des gens qui vont m’apprendre des choses. L’électro, je ne connaissais vraiment pas avant. Du coup, j’apprends, je découvre. C’est passionnant.

Les producteurs vous ont fait découvrir des artistes ?

Pas pour le disque. Ils s’en foutent de ça. Ils ne veulent pas que j’ai une certaine culture musicale. Ils sont juste venus à ma rencontre le temps de ce projet.

Il y a un côté un peu Gainsbourg sur le disque…

C’est un héritage assumé. Le remix de «Fifty-sixty» de David Rubato était très Gainsbourg. J’aurai adoré travaillé avec lui. Ca reste une référence pour beaucoup de gens.

Il avait la même démarche de s’intégrer dans différents univers musicaux…

Et il le faisait bien. Les gens ont suivi. Peu de personnes ont une même démarche aujourd’hui.

Il y a aussi une constante sexy dans sa musique comme dans la votre…

C’est vrai mais ce n’est pas forcément réfléchi. Il y a des choses qui se font naturellement.

Au-delà des chansons, on sent chez vous la volonté de mettre en avant un univers…

C’est ce que je veux. Faire rentrer les gens dans un univers, les faire voyager. Les gens écoutent de la musique pour se détendre, donc c’est important.

Qu’est-ce que vous a apporté votre réussite à l’étranger ?

Une certaine fierté. De pouvoir voyager, rencontrer des gens qui connaissent mes chansons même si elles sont en français et qu’ils ne parlent pas la langue. J’espère que ça va durer. Après c’est que du bonus pour moi. Je ne pense pas à ça en faisant les choses. J’essaie d’abord de me faire plaisir puis mon principal public est ici. En France. Là, je chante une chanson en espagnol, d’autres en anglais, mais c’est plus pour le clin d’œil. Et un concours de circonstances. La femme de Rob est espagnole. Adanowsky, son meilleur ami qui a écrit les paroles, vit au Mexique. Pour l’instant, je n’ai vraiment pas envie de faire un album tout en espagnol ou tout en anglais. Pour ce disque, ça m’a juste amusé de le faire.

Alizée - Factory Girl

Le disque est très produit. Comment comptez-vous l’adapter pour la scène ?

On veut garder quelque chose de très proche. De très produit, de très électro.

Ta démarche se rapproche plus de celles d’artistes étrangers…

Les gens prennent moins de risques en France. Une des rares qui le fait c’est Vanessa Paradis, collaborant avec Gainsbourg, Lenny Kravitz, M... Il faut toujours avoir le souci de proposer quelque chose de neuf. Après c’est à moi de bosser.

Pas compliqué d'avoir commencé avec un si gros succès ?

Non. One ne pourra pas faire plus gros que «Moi, Lolita». Aussi bien peut-être, mais le marché du disque a beaucoup changé. Aujourd’hui, j’essaie juste de faire les choses bien. Le marketing, tout ça, ce n’est pas mon boulot, c’est celui de la maison de disque. Moi, j’emmène un produit fini avec des chansons, une histoire, mon image. Puis le public a le dernier mot.

L’an passé, Sébastien Tellier a sorti un album un peu dans la même couleur musicale…

Rob a bossé dessus d’ailleurs. Moi, ce n’est pas ce que j’écoute. Dans mon iPod, il y a surtout des choses très populaires : Gorillaz, Madonna, Michael Jackson, Gainsbourg… Mais bon, branché, mainstream… ce sont des choses qui ne veulent plus dire grand-chose. Il y a des gens qui font une musique de qualité et les autres, c’est tout. C’est très français de cataloguer les gens. Château-Marmont, si les gens les connaissaient, ils seraient très connus. Parce qu’ils font de la bonne musique.

Recueilli par KidB