A la suite de l'entrée en vigueur de la loi " littoral " du 3 janvier 1986, les renouvellements d'autorisations préfectorales d'occupation du domaine public maritime accordées aux propriétaires de deux maisons d'habitation édifiées sur des terre-pleins au bord de mer furent refusés (dans une première affaire - Depalle c. France -, la maison avait été construite au cours de la seconde moitié du XIX e siècle et acquise en 1960 ; dans la seconde - Brosset-Triboulet et autres c. France - l'édification eu lieu au cours de la première moitié du XX e siècle et fut acquise par succession en 1945). Refusant la proposition du Préfet du Morbihan d'une autorisation d'occupation " strictement personnelle " et " interdisant toute cession ou transmission du terrain et de la maison ", les intéressés demandèrent - sans succès - à acquérir la propriété des terrains concernés par concession d'endigage. Les juridictions administratives les condamnèrent à des contraventions de grande voirie impliquant notamment la remise en l'état antérieur et donc la destruction des maisons d'habitation.
La Grande Chambre de la Cour européennes des droits de l'homme (sur dessaisissement de la Chambre - Art. 30 et 31 - audience à laquelle avaient assistée la promo 2008/2009 des étudiants du M2 DHDH d'Evry) rejette par deux arrêts "clones" ( N.B. les références ci-après sont celles de l'arrêt Depalle c. France) les allégations de violation par la France du droit au respect de ses biens (Art. 1er du Protocole 1 - Pour un rappel des règles et du contentieux spécifiques au domaine public, en particulier maritime, v. § 32-51). Ce dernier article est certes jugé applicable car, malgré " l'imprescriptibilité et l'inaliénabilité du domaine public " (§ 64) et l'impossibilité donc, selon le droit français, qu'un droit de propriété soit reconnu dans ce cadre, " le temps écoulé a fait naître l'existence d'un intérêt patrimonial du requérant à jouir de la maison, lequel était suffisamment reconnu et important pour constituer un "bien" au sens " de la Convention (§ 68). Cette situation conduit la Cour à qualifier le refus de renouvellement de l'autorisation d'occupation non pas de " privation de propriété " (§ 79) mais de " réglementation de l'usage des biens dans un but d'intérêt général " (§ 80).
Or, ce dernier but est nettement reconnu ici par les juges européens, car " la protection de l'environnement, dont la société se soucie sans cesse davantage [...], est devenue une valeur dont la défense suscite dans l'opinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu" (v. ainsi Cour EDH, 3e Sect., 27 janvier 2009,, Req. n° 67021/01 -Lettre Droits Libertés du 28 janvier 2009 et catégorie "environnement" de CPDH), spécifiquement " la préservation du littoral et en particulier des plages, "lieu ouvert à tous" [...] qui appelle une politique d'aménagement du territoire appropriée " (§ 81). Cette approche joue un rôle important dans l'examen du " "juste équilibre" entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu " que doivent ménager les autorités internes (§ 83). La Cour reconnait d'ailleurs traditionnellement " une marge d'appréciation plus grande " aux États s'agissant des " politiques d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement " (§ 84). Or, si l'illégalité originelle de la construction ne peut être reprochée aux propriétaires actuels (§ 85), ceux-ci se sont vus rappelé constamment que les autorisations d'occupation étaient " précaires et révocables " (§ 86), sans indemnisation (§ 91), et ont refusé une " solution de compromis " saluée par la Cour (§ 90).
Aucune violation de l'article 1er du protocole 1 n'est donc retenue ici contre la France.
Dans ces arrêts, la formation solennelle de la Cour européenne des droits de l'homme saisit l'occasion d'adresser un message plus large et qui va au-delà des seuls faits de l'espèce. En effet, elle accorde un véritable label de conventionalité aux finalités poursuivies par les politiques de protection du littoral en soulignant la " nécessité croissante de protéger [c]e littoral et son usage par le public " et énonce que " compte tenu de l'attrait des côtes et des convoitises qu'elles suscitent, la recherche d'une urbanisation contrôlée et du libre accès de tous aux côtes implique une politique plus ferme de gestion de cette partie du territoire. Cela vaut pour l'ensemble des zones littorales européennes " (§ 89).
Depalle c. France et Brosset-Triboulet et autres c. France (Cour EDH, G.C. 29 mars 2010, Resp. Req. n° 34044/02 et 34078/02 )Les lettres d'actualité droits-libertés du CREDOF sont protégées par la licence Creative Commons
Actualités droits-libertés du 30 mars 2010 par Nicolas Hervieu