Théâtre Rive Gauche
6, rue de la gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet
Une pièce de Ray Cooney et John Chapman
Adaptée par Sébastien Castro
Mise en scène par Rodolphe Sand
Avec Virginie Lemoine, ou Véronique Barrault, ou Armelle, Thierry Redler, Laurence Badie, Sébastien Castro ou Laurent Hugny, Gaëlle Lebert, Jean-Marie Rollin, Pauline Klaus, Steve Ricard
Ma note : 7,5/10
L’histoire : Un éditeur parisien vit en parfaite harmonie avec sa délicieuse épouse dans un superbe appartement. Cette belle harmonie va être sérieusement ébranlée lorsqu’à la suite de coïncidences malencontreuses, trois couples illégitimes vont tenter, sans concertation, de vivre dans cet appartement leur première nuit de passion…
Mon avis : C’est un confortable appartement cossu qui va servir de décor à à un invraisemblable maelstrom adultéro-sentimental. Je n’ai pas souvenir d’une pièce qui comportât autant de quiproquos. Son auteur, le Britannique Ray Cooney, grand spécialiste du genre puisqu’on lui doit entre autres des œuvres aussi déjantées et mouvementées que Le vison voyageur, Stationnement alterné, C’est encore mieux l’après-midi, Panique au Plazza, Impair et père, Espèces menacées, Chat et souris…, y bat sans doute son record.
C’est totalement invraisemblable, complètement farfelu, mais on se laisse emporter par la tourmente parce qu’on se dit « pourquoi, après tout… ». Un mensonge en entraînant un autre, les péripéties s’imbriquent avec une implacable précision. C’est de l’absurde poussé dans sa plus extrême logique. Comme je l’ai annoncé en préambule, les quiproquos, devenus ainsi plausibles, s’enchaînent les uns aux autres à un rythme effréné.
Dans une adaptation particulièrement enlevée de l’ineffable Sébastien Castro, que je tiens pour un de nos plus formidables acteurs comiques (Le comique, Mission Florimont, Amour et chipolatas…), les comédiens s’en donnent à cœur joie, chacun dans des emplois différents, avec des caractères parfaitement dessinés qu’ils tiennent de bout en bout, ce qui donne une vraie cohérence à l’histoire.
Le couple hôte d’abord… En fait, le pivot central de la pièce est la maîtresse de maison. Tout passe par elle et elle va tenter pendant plus d’une heure et demie de contrôler une situation absolument ingérable. Heureusement, elle a de la ressource et de l’imagination à revendre. Le problème, c’est qu’à vouloir tout le temps arranger les affaires des autres et protéger ses amis, c’est elle qui se retrouve en butte à la pire des suspicions de la part de son mari. Dans la version que j’ai vue, c’est Véronique Barrault qui officiait pour la toute première fois. Elle a été vraiment formidable. On ne peut pas dire que l’auteur lui a réservé un rôle de tout repos puisqu’elle passe presque sans transition de son statut de maîtresse femme avec la tête sur les épaules à celui de fantasme sexuel déterminée par la force des choses à tromper son mari. Comment fait-elle pour ne pas se départir de sa maîtrise dans les situations les plus rocambolesques quand elles ne sont pas carrément ridicules ? C’est du grand art, la preuve d’un grand métier… Son éditeur de mari, Thierry Redler, tient plutôt un emploi de contre poids. C’est une sorte de rocher qui résiste aux éléments déchaînés. Sérieux comme un pape, frisant même la rigidité, il fait rire par état permanent de contrarié. C’est lui sans doute qui est le plus dépassé par les événements. Très préoccupé par l’avenir de sa maison d’édition, il n’est aucunement préparé à subir les affres du cocufiage. Il est droit, il est honnête, il est amoureux de sa femme, c’est un mec bien. Il est certes passablement irrité par la présence envahissante du décorateur d’intérieur, mais sinon il est plutôt du genre à rester impavide. Ce qui va être de plus en plus difficile pour lui… Je ne connaissais pas cette facette fantaisiste de Thierry Redler et c’est une belle découverte. Il est très à l’aise dans ce registre et confirme ainsi qu’il est un comédien de tout premier plan avec un éventail de jeu très étendu.
Laurence Badie hérite dans cette pièce d’un rôle en or, du sur-mesure. Sans jamais en rajouter, sans jamais tomber dans la caricature, elle apporte un décalage permanent par rapport à la folie ambiante. Elle suit son cap et son idée sans trop se laisser perturber par l’agitation qui règne autour d’elle. Mais comme elle y porte un regard plus naïf qu’inquisiteur, elle génère là aussi une belle source de quiproquos (c’est terrible, il n’ya pas de synonyme à quiproquo qui puisse être suffisamment précis, alors pardonnez-en l’usage répétitif). C’est une douce petite vieille qui, bien qu’aimant les animaux, n’a apparemment jamais connu le loup, ce qui la rend excessivement puritaine. Et comme elle est une auteure à succès, elle prend un aspect considérablement « bankable » aux yeux de notre éditeur qui a besoin d’asseoir l’économie de sa boîte.
Et puis il y a bien sûr Sébastien Castro qui ne fait que confirmer là son formidable talent comique. Poil à gratter au début, il va être pris à son tout bien involontairement par la patrouille. Quand on ne peut plus avoir la maîtrise des événements, il faut bien essayer de s’y adapter et d’improviser. Sans grande chance hélas de réussite. Il fonce alors dans les imbroglios avec un certain entrain et une louable bonne volonté, ce qui, bien sûr, n’est pas toujours au goût de tout le monde. En dépit de son nom bien méditerranéen, Sébastien Castro excelle aussi dans les compositions estampillées british. Il est en effet plutôt flegmatique et distancié. Et puis il a la chance d’avoir une voix au timbre grave et traînant si personnel qu’elle en devient un atout supplémentaire générateur de rire.
Le reste de la troupe se met largement au diapason de ce quatuor drolatique avec une énergie jubilatoire et une bonne dose de folie ;
Ray Cooney a encore frappé. On passe au théâtre Rive Gauche plus d’une heure trente de rire ininterrompu ce qui, avouons le, par les temps qui courent, est toujours appréciable. La mécanique fonctionne irrésistiblement, il n’y a plus qu’à se laisser aller et alors, tout le plaisir est - aussi - pour nous.