Google et E-Bay veulent dynamiter la banque !

Publié le 31 mars 2010 par Objectifliberte
C'est une véritable bombe dans le landernau tranquille du business bancaire que viennent de lancer Google et E-Bay, les deux géants les plus emblématiques de la révolution Internet.
Dans une conférence de presse à destination de la presse financière (voir vidéo en fin de note), Eric Schmidt, CEO de google, et John Donahoe, celui de E-Bay, ont annoncé vouloir créer leur propre plateforme bancaire, fonctionnant suivant un schéma révolutionnaire. Sont également associés à ce projet Paul Allen, le co-fondateur de Microsoft, et le financier John Paulson, du fonds Lone Star, celui qui avait parié sur la chute des subprimes.
Les points saillants de la conférence de presse sont les suivants:
  • La nouvelle plateforme, qui démarrerait en ligne au plus tard dans un an, s'interdirait de prêter l'argent des déposants qui n'aurait pas été explicitement placé une épargne à ce sujet sur un compte spécialisé. Autrement dit, pas de réserve fractionnaire !
  • Ces comptes d'épargne seraient gérés directement par l'épargnant sous forme d'une plateforme de prêts "peer to peer"  de nouvelle génération. Ces services, qui sont au couple prêteur-débiteur ce que meetic est aux rencontres amoureuses, ont déjà percé dans le domaine du microcrédit (voir kiva.com) dans les pays émergents, et ils commencent à fleurir sur le net (lendingclub.com, prosper.com), portés par la contraction du crédit à la consommation aux USA, du fait de l'augmentation dramatique des taux d'intérêts que les banques exigent sur les prêts courts à la consommation.

Selon J. Donahoe, ces services de peer to peer lending ont des défauts qui les empêchent de rencontrer le même succès qu'e-bay ou paypal:
  • Leur manque de notoriété fait que la confiance des prêteurs est insuffisante pour assurer un apport critique suffisant de cash à prêter.
  • Leur manque d'expérience dans le domaine du "reputation management" rend difficile l'évaluation du risque-emprunteur par les prêteurs. Or E-bay maîtrise parfaitement ces aspects depuis maintenant plus de 14 ans.
  • Ces plateformes de peer to peer lending sont rop limitées quant aux services àssociés au crédit (moyens de paiement, moyens de virement...), Or Paypal, filiale d'E-bay, dispose de savoirs faire intéressants.
  • Aux USA, le groupement se chargerait de tout l'enregistrement légal des transactions, afin d'éviter aux participant tout ennui avec l'IRS, les County Clerks et autres passages obligés par la loi US...
  • Comme sur e-bay, la plateforme de P2P-Lending pourrait être utilisée par des prestataires à valeur ajoutée: pooleurs de prêts, assureurs, notateurs, analystes...
  • Des règles simples obligeraient les spéculateurs purs à révéler leurs positions "à découvert", donc pas d'interdiction a priori, mais transparence totale.
  • C'est le point le plus révolutionnaire : la plateforme ne serait pas elle même la banque de pur dépôt chargée de fournir les services classiques de chéquier, de liquidité monétaire et de carte de crédit. Par contre, toute banque disposant de ratios de gestion jugés suffisants par le groupement pourrait se greffer sur la plate forme de Google, selon des modalités d'association que je n'ai pas bien comprises, et proposer ses propres services à valeur ajoutée sur la plateforme Google-E-Bay.
  • Des petites entreprises auront accès à des coûts massacrés à des services aujourd'hui réservés à des entreprises plus grandes: émissions obligataires, souscriptions en capital...

Eric Schmidt a quant à lui abordé les questions plus générales quant à la portée du projet. Selon lui, le système bancaire actuel vit ses dernières années en tant que tel, et le modèle de la banque est à réinventer. Notamment, selon lui, le système de réserve fractionnaire sans accord du déposant est voué à disparaitre, car il est la source des excès de bulles spéculatives de crédit qui se sont produites. Voilà qui devrait faire débat entre les anti réserve fractionnaire (tels que Steven Hanke) ou pro (George Selgin), mais après tout, c'est le libre choix de la banque...

Selon E. Schmidt, les banquiers classiques ont montré surtout des capacités à infléchir les régulations adoptées par le législateur pour se fabriquer un cadre sur mesure, qui leur a permis de se montrer exagérément spéculatifs, ce qui a été bon pour leurs portefeuilles personnels dans les bonnes années, mais qui a au final fait supporter les risques d'échecs aux contribuables, c'est à dire à leurs clients. Je ne puis qu'approuver.

Selon lui, il n'y a aucune raison pour que les banques soient gérées selon des standards plus laxistes que les entreprises de l'économie réelle, et il espère que sa plateforme sera utilisée par des entreprises du monde réel, tel que par exemple Wal Mart ou Microsoft (si si, il l'a dit !) pour proposer des services financiers, soit généralistes, soit spécialisés mais innovants, gérés de façon traditionnelle et pérenne.

Selon lui, il est dans l'intérêt des entreprises du monde non financier de se réapproprier la banque, afin que les particuliers et entreprises qui sont leurs clients ne soient pas victimes du mauvais fonctionnement du système actuel, qui pénalise toute l'économie. Des banques gérées par des entreprises que les américains côtoient au quotidien, apprécient, et qui inspirent confiance: tel est le credo d'Eric Schmidt.

Enfin, il a terminé son exposé sur la nécessité de "dynamiter" la banque, milieu trop conservateur. Il veut avec sa plateforme (dont le nom n'est pas encore révélé, les forums parlent d'ores et déjà de G-Bank ou Google Bank, mais je n'y crois guère) faire littéralement imploser les coûts de l'intermédiation bancaire, et rendre accessible au petit commerçant du Kansas des services qui auparavant requéraient les services de banques spécialisées et chères: permettre l'émission de bons, et aussi, des appels directs à l'augmentation de capital. On est pas loin d'un concurrent à Nyse-Euronext, même si les deux orateurs n'ont pas été aussi loin dans l'analogie.


Questions réponses aux journalistes

Inutile de dire que la séance de questions des journalistes a été... chaude !


Je suis trop fatigué pour tout traduire (il est plus de minuit et la conférence de presse vient à peine de se terminer à San Francisco - En plus, le débit de parole est parfois insoutenable pour l'angliciste moyen que je suis), mais parmi les questions posées, notons (je traduis à l'arraché):
Q : "La plateforme ne part elle pas perdante contre des banques classiques qui peuvent bénéficier d'une ressource quasi gratuite créée à partir de rien par la FED et qui pratiquent la réserve fractionnaire ?"
Donahoe: "La ressource gratuite de la FED ne peut pas durer sans provoquer le retour d'une inflation forte. Nous espérons que les nouvelles régulations bancaires obligeront les banques à se montrer moins aventureuses que par le passé, et que nous retrouverons le chemin d'une économie ou le crédit est l'enfant de l'épargne et non le fruit des pulsions d'achat non maîtrisées d'enfants gâtés".
Q : "Certes, mais la situation actuelle, avec des taux FED très bas et des taux de crédit à la consommation très élevés, est très conjoncturelle. Serez vous compétitifs si l'écart entre coût de la ressource et le coût du crédit diminue" ?
Donahoe: "nous sommes certains de pouvoir ramener nos marges d'intermédiation bancaires à des niveaux très inférieurs à celle des banques classiques".
Q : "Pourquoi croyez vous que vous allez révolutionner la banque ? Croyez vous que ce soit un métier facile ?"
Schmidt: "Il y a une demande croissante pour des services financiers de qualité accessibles à tout un chacun, à des coûts raisonnables, et qui ne servent pas à payer les bonus des grandes banques d'affaires. Il y a une demande pour des banques sûres, bien gérées et raisonnables. Il y a une fenêtre d'opportunité qui risque de ne pas se représenter. Enfin, sur ce type de marché, "the winner takes it all". Et google et E-bay savent comment aller chercher très vite le leadership sur de tels marchés. C'est maintenant que nous devons nous lancer. "
Q : "N'y a-t-il pas des obstacles réglementaires insurmontables" ?

Donahoe : "il reste quelques légères complications, mais rien d'insurmontable, puisque nous serons une plate-forme de services bancaires et non une banque nous mêmes."

Q : "Attaquerez vous tout de suite le marché mondial"

Schmidt: "dans la mesure ou des législations locales ne nous en empêcheront pas, oui. Nous avons bon espoire de pouvoir opérer simultanément sur les USA, le Canada, et l'Union Européenne. Par contre, en Asie, ce sera peut être plus compliqué".


Q : "Que pensez vous de l'initiative ""End The Fed" lancée par l'aile libertarienne du parti républicain ?
Schmidt: "no comment - Je ne fais pas de politique ici".

Mais le plus beau:

Q : "Qu'est-ce qui empêcherait un établissement d'émettre de la quasi-monnaie, par exemple indexée sur l'or, par le biais de votre plateforme ? "
Donahoe: "actuellement, la loi. Mais techniquement, rien".

J'en ai encore le souffle coupé. Voilà qui promet ! Il est encore trop tôt pour imaginer toutes les implications de l'annonce des deux champions du web sur la finance, voire l'économie mondiale, mais à n'en point douter, c'est un big bang du système financier américain et mondial qui s'annonce.

Encore un bel exemple de créativité privée pour secouer le cocotier des secteurs un peu trop arrogants, sclérosés, et opérant avec des marges de moins en justifiées par la qualité de services.
Il est en outre trop tôt pour imaginer ce que la plateforme pourrait permettre,mais je salive déjà. Vivement 2011 !

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La vidéo de la conférence de presse sur Vimeo (#1h15) :


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