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Marcel Lenoir (Jules Oury, dit) 1872-1931. Ne fut pas seulement imagier, peintre, fresquiste et graveur, mais publia ses écrits dans un volume édité par L'Abbaye en 1908.
Stanislas Fumet écrit à propos de son ami : "On connait cette surprenante destinée qui voulut que le joailler-graveur qu'il était dans sa jeunesse devînt lithographe, dessinateur, obtînt dans l'enluminure, aux beaux jours de l'école "symboliste", quelques succès, puis, - malgré les préventions du sâr Péladan (1), malgré la misère que ce renoncement à l'art de petit imagier impliquait, - rompît volontairement avec ce genre, dans le désir de toucher aux cimes de la peinture. Du bijou à la fresque, n'est-ce pas une ligne merveilleuse ?" (2)
A la lecture de la préface de Raison ou Déraison du peintre Marcel Lenoir, nous en apprenons un peu plus sur ce peintre dont le visage de christ était connu de tous dans le Montparnasse du début du siècle. Dans cette préface il rend hommage à ceux qui comptèrent dans sa vie : son frère le sculpteur Louis Oury, lui dédicaçant ainsi qu'à ses parents et à sa sœur, les poèmes écrits au chevet du lit de mort de son autre frère, Victor. Le sculpteur Joseph Bernard, son seul ami. Raymond Madelain, poète mort à 33 ans à qui il doit son éducation intellectuelle, auteur du sonnet Le Monstre (3), écrit en vue de l'œuvre du même titre que Marcel Lenoir exposera au sixième et dernier Salon de la Rose-Croix en 1897. Ce Monstre, un camaïeu enluminé, fait l'objet d'un long exposé d'Émile Boissier, dans son ouvrage L'Enlumineur Marcel Lenoir (Arnould, Paris, 1899). René Ghil, pour le remercier de ses écrits sur sa peinture et en admiration pour son œuvre (4). Joséphin Péladan, qui s'étonna de "ses gestes picturaux" et qui fut le premier à s'intéresser à ses débuts, à le louanger, mais aussi à juger "nécessaire de [le] prévenir contre le mal du moment, - la hâtivité picturale", on verra qu'Apollinaire lui fera le même reproche. Charles Vildrac (5), "un chantre des hommes, de la douleur, de la nature, vient de naître, et que dis-je ! existe déjà."
Raison ou Déraison, est non seulement un recueil de poèmes et mais aussi de pensées et d'aphorismes qui expriment le caractère farouche et sans compromission du peintre. Isolé volontaire : "Durant mon existence, je n'aurai pu me considérer comme un être isolé, ayant eu pour compagnon : mon art, un ami et la misère." "J'ai cru, je crois encore à la force de l'isolement du Moi, pour qui sait souffrir." Misogyne : "Il est plus aisé aux femmes d'ôter leur chemise, que de taire un mensonge." Misanthrope : "On rencontre un ami dans la vie, des sots à chaque pas. Quant à la fourberie, on la trouve partout." "Un salut respectueux est le présage d'une calomnie." Individualiste : "Tout groupement anéantit la liberté individuelle."
On a reproché à Marcel Lenoir d'être trop littéraire, d'être un peintre de la pensée, Stanislas Fumet nous dit qu'il "résolu moins de peindre que de penser plastiquement", et que ce sont ses reproches d'intellectualismes qui firent que Lenoir utilisa tant de "solutions plastiques", de styles et techniques différentes. On l'a vu, Péladan, reprochait la hâte que mettait Lenoir dans la réalisation de ses œuvres, Guillaume Apollinaire qui apprécia le peintre (6) rejoint l'avis du sâr, le 18 octobre 1910 dans sa chronique la Vie Artistique de L'Intransigeant, il souligne les tentatives de renouvellements de Lenoir, son désir de recherches et de nouveautés, qui "empêchent parfois l'aboutissement d'efforts qui, pour un grand nombre de raisons, méritent beaucoup d'éloges. Toutefois, nul doute que M. Marcel Lenoir ne soit fait pour des travaux plus minutieusement achevés, plus lentement conçus, moins hâtivement exécutés", Apollinaire note encore que Rodin se rendit acquéreur de quatorze tableaux présentés au Cercle International des Arts. Dans un article de la revue de Canudo, Montjoie ! (7), Apollinaire reviendra sur les changements de style trop rapide de Lenoir : "Salle XXVIII. Marcel Lenoir, qui trop varie. Il a un style pour chaque exposition." En 1913, dans le numéro 18 des Soirées de Paris, il sera tout aussi laconique : "une Mise au tombeau de Marcel Lenoir qui fait ressortir ce qu'il y a de plus pompier dans la peinture de M. Maurice Denis."
(1) Lenoir fit parti des artistes exposants au Salon de la Rose-Croix (son nom figure dans la liste fournie par Léonce de Larmandie dans l'Entr'acte idéal, histoire de la Rose + Croix, Chacornac, 1903). Dans la Revue Hebdomadaire, Péladan écrit : "M. Marcel Lenoir est un talent ingénu et sincère, ingénu dans ses titres : " La République, c'est nous! " et sincère dans la bonne composition de son labourage. Quel dommage que cet artiste, qui a commencé par des enluminures mystiques, adopte une exécution un peu voisine de l'épouvantable pointillisme! Qu'il laisse aux gens sans imagination ce dérisoire moyen d'être remarqué. Il a de grandes qualités : il est sensible, inventif. Il a dû se former seul, dans des conditions précaires, encouragé seulement par des amis sans idées générales ni méthode. Sous une bonne discipline, il serait devenu un remarquable peintre religieux ; il a le sentiment chrétien." (le Salon des Indépendants (1903)).(2) Stanislas Fumet : Marcel-Lenoir, l'homme et l'oeuvre. Les Ecrivains Réunis, 1926.
(3) Raymond Madelain ne semble pas avoir laissé d'autres œuvres que ce Monstre, reproduit dans l'ouvrage cité d'Émile Boissier. Voir Evanghélia Stead : Le Monstre, le singe et le fœtus: tératogonie et Décadence dans l'Europe fin-de-siècle. Droz, 2004. pages 86-87.
(4) René Ghil est l'auteur de Marcel Lenoir, Etude lue devant la Société « l'Art pour tous », en l'Atelier de Marcel Lenoir (83, rue de la Tombe-Issoire, Paris). [Impr. G. de Malherbe], 1906 (5) Charles Vildrac, l'un des fondateurs de L'Abbaye de Créteil, qui édite Raison ou Déraison. Le 30 décembre 1910, Apollinaire, dans l'Intransigeant, cite Lenoir parmi les artistes présents dans la galerie que Vildrac vient d'ouvrir rue de Seine.
(6) Dans L'Intransigeant du 22 mars 1910 il écrit : "Salle 30, il faut regarder avec respect l'envoi de Marcel Lenoir parce qu'il y a dans ses toiles de la piété et de la pitié." Les citations d'Apollinaire sont extraites de Guillaume Apollinaire : Chroniques d'arts 1902-1918. Textes réunis par L.-C. Breunig. Gallimard, Folio essais, 1993.
(7) A travers le Salon des Indépendants, 18 mars 1913.
Site du Musée Marcel-Lenoir