J’ai fait un cauchemar la nuit dernière.
Je me rendais à la bibliothèque d’Alexandrie pour me perdre avec ravissement, des heures durant, dans ses rayonnages aux trésors inestimables, lorsque j’ai atterri, bien malgré moi, dans l’une des plus vastes bibliothèques du monde : la Googles books…
Un endroit froid, aseptisé et au silence oppressant.
Partout, des livres dématérialisés et inodores, au toucher glacial…
Un silence de mort règne en ces lieux de « savoir-fast-food ».
Point de murmures de lecteurs voisins ; point de froissement de pages que l’on tourne. Seuls des écrans aux pages glacées sans voix.
Impossible de corner les pages sur des phrases délicieuses.
Impossible au crayon mine d’ajouter des notes dans les marges.
Des lecteurs fantômes, chercheurs pressés, tentent en quelques clics d’accéder au savoir universel, impérissable et immédiat, sans se déplacer de leur fauteuil, tout en parcourant le monde à la recherche de l’ouvrage désiré qu’ils trouvent instantanément.
Plus de quête interminable dans des rayonnages poussiéreux où craquent les reliures fatiguées des livres convoités ; plus de rencontres surprenantes, au détour d’une étagère…Plus d’odeurs d’encre et de papier ; la main rencontre une surface plane et uniformisée.
Ici, un enfant du Sahel, trouve en plein désert l’œuvre de Maupassant prescrite par le collège. Là, un ado télécharge Hugo après avoir téléchargé les Rolling Stone sur son iPod.
Dans le métro parisien, on sort son livre numérisé pour prendre connaissance de l’actualité ou terminer le dernier roman d’Amélie Nothomb.
Terrorisée devant ce tsunami culturel, je sors de cette immense bibliothèque virtuelle…ou plutôt je m’enfuis à toutes jambes !
Dehors, les devantures des librairies n’ont pas résisté à la vague déferlante et leurs portes sont closes, à l’exception d’une seule.
J’entre et à ma grande stupéfaction je ne trouve aucun livre en rayons.
Je m’adresse au libraire en lui disant que je cherche l’œuvre de Giono.
— Giono, vous le voulez sur carte SD ou clef USB ?
Je suis partie en courant avec le diable à mes trousses.
Sur un bout de trottoir, j’ai rencontré Amélie Nothomb qui mendiait quelque considération et pleurait sur ses droits d’auteurs disparus.
Je me suis réveillée en nage et le cœur battant. Sur la table de nuit, j’ai reposé le livre sur lequel je m’étais assoupie.
Son odeur de papier et le doux frémissement de ses pages m’ont rassurée. Je me suis retournée de l’autre côté et me suis rendormie.
Ce n’était qu’un cauchemar !
Dites…c’était bien un cauchemar ? Rassurez-moi…le livre papier ne peut pas disparaître ainsi, enterré par la folie de quelques uns ?