Cinq minutes après, il me proposait de me l'envoyer.
C'est donc devenu un livre voyageur... (Avis aux amateurs)
Je crois que c'est un des livres les plus forts que j'ai lu cette année.
Dans une langue neutre, froide et distanciée, ce roman nous fait pénétrer dans l'univers glacé de la Centrale, avec ses sas et ses procédures qui mènent certains hommes en son cœur bleu.
Cette Centrale fascine et effraie, attire et révulse, mais sa puissance est multiple et implacable. Elle en impose par sa stature, sa dangerosité, sa haute technicité, et sa beauté vénéneuse.
Elisabeth Filhol nous la décrit avec assez de poésie pour nous faire mesurer l'ambivalence des émotions qu'elle produit chez ceux qui pénètrent en son sein.
"Un bleu intense, quasi surnaturel, qui pourtant ne doit rien à la science et n'emprunte rien à la fiction, le bleu du ciel au dessus des casbahs, illuminé, transfiguré de l'intérieur, un bleu d'artiste inventé puis breveté sous sa formule chimique, mais dans une transparence et un rayonnement que seule la nature dans ce qu'elle a de plus intime est capable de rendre sensible à nos yeux, et pour cause, certaines particules dans l'eau battent en vitesse le record de la lumière. Avant de décharger et recharger les assemblages d'uranium, on remplit la piscine d'eau borée, une barrière de bonne qualité et peu coûteuse contre les radiations. Est-ce que le bore provoque une coloration dans l'eau ? Non. ... ... Alors bleu ? Pourquoi un bleu d'autant plus intense que le taux de radioactivité autour de la cuve est élevé ? "
L'essentiel du livre n'est pourtant pas dans cette prouesse d'écriture qui nous parle de technique et qui nous décrit par le menu l'environnement des centrales nucléaires en produisant des images et des atmosphères dans une gamme subtile d'émotions.
L'essentiel se trouve dans les mots du narrateur qui raconte dans des flash-back judicieusement agencés, son expérience d'intérimaire en tant qu'agent DATR;
Entendre : Agent Directement Affecté Aux Radiations.
Il fait partie de cette sorte de compagnonnage des années 2000, faisant le tour de France des Centrales au rythme de contrats à durée déterminée et subissant à la fois, nomadisme, précarité et haut risque permanent.
Nous découvrons cet univers fermé et masculin, solidaire et en souffrance, des hommes tiraillés par le choix de vie qu'ils ont fait et qu'ils ne comprennent pas toujours.
Ils sont pris au piège.
La violence qui leur est faite est extrême et certains semblent y répondre en redoublant de courage pour affronter les missions...
"Chair à neutrons. Viande à rem. On double l'effectif pour les trois semaines que dure un arrêt de tranche. Le rem c'est l'ancienne unité, dans l'ancien système. Aujourd'hui le sievert. Ce que chacun vient vendre c'est ça, vingt millisieverts, la dose maximale d'irradiation autorisée sur douze mois glissants. Et les corps peuvent s'empiler en première ligne, il semble que la réserve soit inépuisable."
Une colère froide émane de ce texte cinglant.
C'est sans aucun doute un livre qui marque, une œuvre littéraire qui met à jour sans fards la condition d'ouvriers "brûlés", de ceux qui font le sale boulot auquel les statutaires ont échappé, et qu'EDF est contente d'avoir "délocalisé".
Un des passages que j'ai trouvé particulièrement émouvant sur cette condition est celui qui évoque la formation payante pour le personnel intérimaire.
Elle est nécessaire et obligatoire pour obtenir le poste, mais elle est à la charge du futur employé.
"Sur la question de savoir si je dois payer pour ça, à cinq autour de la table, les avis sont partagés. En acceptant, tu tires un trait sur tous nos acquis. Quels acquis ? Ne l'écoute pas, il parle comme un fonctionnaire. C'est normal, il a trente-trois ans de maison. Je disais ça pour vous, moi je ne me plains pas, j'ai Areva derrière, c'est Areva qui paie, mais pour les intérimaires ou les gars à durée de chantier qui changent d'employeur tous les mois, concrètement il n'y a plus personne, en acceptant d'y être de votre poche, vous justifiez le régime actuel, EDF encaisse les profits, vous encaissez les doses, au milieu quelques patrons de sous-traitance tirent leur épingle du jeu et le tour est joué, les années passent, à tous ceux qui font des économies sur votre dos, vous leur donnez de bonnes raisons de ne surtout rien changer."
A lire, vraiment!
C'est aussi un premier roman, je l'inscrit donc de ce pas au
Ce livre a obtenu le prix France Culture-Télérama,
Le dossier télérama,
la présentation de l'éditeur qui propose une très belle revue de presse.
L' article de René de Ceccatty pour Le Monde,
Celui de Jérôme Garcin pour le NouvelObs,
Un autre de Sandrine Audrerie pour La croix,
Un interview intéressant d' Aurélie Mongour sur Evene,
Ce livre fait partie de la sélection du mois de Février des lecteurs de l'Express,
Le Gandhi vert en parle,
un beau billet sur Des petits riens,
celui de Carmadou
"Un livre indispensable" pour Tournezlespages'sblog,
Plusieurs avis enthousiastes sur Critiqueslibres,
Bartelbooth le trouve lourd et oppressant, il lui a manqué des sas de décompression...
Vincent Jolit fait une critique mitigée sur Rhinocéros
Le billet d'Yv qui me l'a gentiment prêté, et qui en fait un livre voyageur,
Matthieu Beaumier sur "La vie Littéraire",