Mme de Maintenon se retire en 1715 à Saint Cyr, dans une institution pour jeunes filles nobles désargentées qu’elle avait contribué à créer du temps qu’elle était la femme secrète de Louis XIV. Elle y meurt en 1719.
C’est dans cette institution que Louise Doutreligne (en 2007) imagine que les jeunes filles jouent la première pièce sur Don Juan, quand la nuit est tombée et que Madame, reine non reconnue, s’endort. Ou bien est-ce le rêve de Madame ?
Le dortoir bruisse des désirs féminins naissants. Les rôles sont répartis. Il n’y a que celui du roi qui est un peu contesté. Tous les autres conviennent. C’est-à-dire que les jeunes filles se reconnaissent mutuellement dans les personnages, y compris celle qui joue Don Juan Tenario, séducteur froid, qui ne tient pas sa parole et qui sait qu’il ne la tiendra pas. Elle est cependant doublée d’un Don Juan (d’origine) parlant espagnol et habité par l’esprit du flamenco. C’est ce double qui recommande à Don Juan de rencontrer le père d’Ana, le Commandeur. Et c’est à ce moment que le destin de Don Juan se noue. Lui qui n’avait jusqu’alors que séduit des jeunes femmes déjà courtisées mais qui succombaient à son charme, le voici face à une femme qui, d’une part, résiste, et, d’autre part, met son père sur son chemin. Il le tue. Le libertinage se finit là. Don Juan tentera bien encore (et réussira) d’entrer dans le lit de vierges, mais il sait sans doute, et Catalino, son serviteur, le lui rappelle sans cesse, qu’il a rendez-vous avec la mort. Pour la première fois, Don Juan tiendra parole : il ira au repas où le convie la statue du Commandeur.
La mise en scène par Jean-Michel Beugnet, et la Compagnie Théâtre Carpe Diem, choisit de faire référence au théâtre de tréteaux, et de jouer cette pièce sur des estrades de plusieurs niveaux, permettant des entrées et des sorties multiples et furtives, comme si c’était le dortoir entier qui se mettait en scène, une nuit où Madame, fatiguée, doute d’elle-même, une nuit où les pensionnaires laissent s’exprimer leurs envies et leurs craintes quand s’éveille leur sexualité. L’une et les autres, rêvant d’amour, n’imaginent pas d’autre Commandeur, d’autre justicier, d’autre représentant de l’ordre moral que Madame de Maintenon elle-même, éloignée de la Cour, et en charge de l'éducation de ces jeunes filles.
L’évocation du flamenco, la voix qui parle espagnol, l’arrivée d’un Don Juan ayant tombé la chemise de nuit pour un costume d’homme, cela fait démarrer la représentation. La troupe est nombreuse et composée uniquement de femmes travesties en pensionnaires, elles mêmes travesties en hommes ou en femmes selon les rôles. De travestissement en travestissement, elles ne parlent que d’amour. Elles composent un chœur, une chorégraphie et chacune y tient bien sa place, malgré un démarrage un peu lent et une fin qui gagnerait aussi à être plus courte. C’est enfin autour du trio Don Juan (Céline Roux) – son double (Annabelle Richefeu) – Catalino (Sophie Le Corre) que se cristallise l’histoire ; ils forment à mes yeux un seul personnage, une sorte de trinité.
La création de ce spectacle a eu lieu à la MJC-Centre social de Chilly-Mazarin (91)