Il l’a eu son dîner, avec photo et une presse française relayant complaisamment l’évènement. Mardi soir, Nicolas Sarkozy, accompagné de son épouse Carla, a soupé avec le couple Obama dans leur salon « privé » de la Maison Blanche. Juste avant, le Monarque a pu livrer une conférence de presse avec Obama. En France les parlementaires UMP attendaient leur rencontre, mercredi à l’Elysée, avec Sarkozy.
L'agitation à l'UMP
La mise en scène était rodée. La semaine dernière, députés et sénateurs UMP ont pu vidé leurs sacs de reproches après le résultats des élections régionales. Lundi après midi, François Fillon les a revu, à Paris. Les rangs étaient éparses, plus de 150 parlementaires avaient séché la rencontre. Interdiction, cette fois-ci, de communiquer par textos ou Twitter avec l’extérieur, comme ce fut le cas mardi 23 mars. Les dissonances sont toujours là. Fillon et Bertrand refusent le concept de « nouveau pacte majoritaire » défendu par Copé. Alain Juppé a regretté, mardi matin, l’abandon de la taxe carbone et souhaite la suspension du bouclier fiscal, ce que Xavier Bertrand n’a pas supporté.
Sarkozy, présidentiel... aux Etats Unis
La presse américaine n’a pas retenu grand-chose de la venue de Sarkozy à New York. Un tabloid, le New York Post, a qualifié Carla Bruni de « chaude et italienne », comme la machine à espresso que Sarkozy a exigé d’avoir sur place à l’université de Columbia. Le Monarque français fut qualifié de « pointilleux » sur ces petits détails protocolaires. D’autres ont relevé que Carla Bruni avait adopté le nouveau sac Dior de la collection hiver 2010-2011. Elle a profité de cette escapade pour annoncer un programme d'échanges France/USA entre écoles d'art, avec le soutien de sa fondation, car « savoir, c’est pouvoir ». Quel programme ! Sarkozy a confirmé, lors d'une réception dans une institution américaine privée, la French Institute Alliance Française: « la Fondation de Carla va développer un programme ambitieux de scolarisation dans les milieux défavorisés, marié à un projet culturel d'envergure ». Ce programme, doté de 1,5 million d'euros offerts à la Fondation Carla Bruni-Sarkozy par un couple américain, financera les études d’une cinquantaine d’étudiants (25 Américains en France, 25 Français aux Etats-Unis), et ce pendant 3 ans.
Sarkozy, donneur de leçons
A l'université de Columbia, Sarkozy démarra son intervention par une curieuse pirouette expliquant qu’il ne lirait pas de discours, car, dixit le Monarque, « Si on vient pour lire un discours, y qu’a envoyer le discours et faire l’économie du voyage ». Pour un président aussi prolixe que lui, qui a multiplié depuis 3 ans les déplacements sur le terrains pour des exercices encadrés de discours préparés (parfois même copiés-collés d’une visite à l’autre, comme sur l’identité nationale et l’agriculture en février puis octobre 2009), la blague frise le second degré. S'en suivit 28 minutes de discours faussement improvisé, un recueil de leçons pour un Monarque désavoué il y a peine 9 jours par son électorat.
« A travers vous, je veux parler au grand peuple des Etats-Unis d’Amérique », car « nous devons travailler ensemble. » Evidemment, « En Europe, on vous admire. » «mais en Europe, on veut que les Etats-Unis d’Amérique nous entendent, nous écoutent. » Passés les compliments, les leçons fusent : « Vous devez réfléchir à cela : que signifie être la première puissance du monde ? » Le Monarque a ses idées : «la première puissance doit porter un leadership ». Mais il ajoute immédiatement qu'au 21ème siècle, une seule puissance ne peut diriger le monde, la force impose le dialogue. Le message sarkozyen est anachronique. La présidence Obama est largement moins interventionniste à l'étranger que l'administration Bush, coupable d'une guerre contre le mal. Sarkozy adorait Bush. Il ne pense pas à cela. Il a été heurté de la résistance d'Obama lors de la crise de 2008. Le président américain voulait parler relance. Sarkozy, coincé en France par ses déficits, voulait parler paradis fiscaux.
Le Monarque français commet une autre bévue, en expliquant que seules l'Europe et les Etats Unis sont à même d'imposer de nouvelles idées pour réguler le monde. «Europe et Etats-Unis, nous pouvons inventer les règles de l'économie de demain». Exit les pays émergents, la Chine si créancière des finances publiques occidentales surendettées ! Sarkozy conserve un tropisme presque colonial, en tout cas occidental. Triste sire. Son narcissisme prend le dessus.
«J'ai voulu que la France revienne dans l'OTAN totalement.» On se souvient du faux débat parlementaire, en urgence, pour discuter de cette volte-face sarkozyenne, en 2008 : «Pourquoi l'ai-je voulu ? Parce que je voulais un dialogue franc, sans arrière pensée, avec les Etats Unis».
Sarko le gaucho... à New York
Devant les étudiants de Columbia, Sarkozy a retrouvé ses accents de gaucho: «est-ce que vous croyez qu'on pourra défendre le capitalisme, avec autant d'injustices ? Moi je crois qu'on ne pourra pas le défendre». En France, Sarkozy s'acharne à défendre le bouclier fiscal d'une centaine d'ultra-privilégiés. Ne cherchez pas le paradoxe. Il saute aux yeux.
Sur place, Sarkozy a ainsi fait la leçon, à distance, à Barack Obama et à l’Amérique : «Nous avons besoin que le grand peuple américain comprenne que l'absence de règles tue la liberté». Ou encore : «La régulation économique mondiale ne peut plus demeurer ce qu'elle est. Nous ne pouvons plus accepter un système capitaliste où il n'y a pas de règles, il n'y a pas de régulation (...) L'économie de marché et le marché sans règles, ce sera la mort du capitalisme».
Finalement, Nicolas Sarkozy s'est tout autant amusé à attaquer le leadership américain. «Copenhague fut l'échec d'une méthode de façon caricaturale». Tiens, Copenhague fut un échec. Sarkozy dénonça la mauvaise gouvernance mondiale. Pourquoi pas ? Il a listé tous les pays ou continents qui sont absents du Conseil de Sécurité de l'ONU (Brésil, pays arabes, Afrique, Japon, etc). «Les Etats-Unis et l'Europe, nous devons demander une réforme de la gouvernance mondiale». Sarkozy s'amuse aussi à porter la dérision contre le G8. Il semblait incroyable, à Columbia, d'entendre Sarkozy, ce président qui plomba si souvent la cohérence européenne au profit de ses envies de gloire personnelle, parler autant d'Europe.
A Columbia, Sarkozy compara les "fous" qui ont fait explosé les métros de Moscou, et les "insensés" qui ont lancé des avions contre les tours jumelles de New York. Sarkozy fait un parallèle douteux entre les attentats du 11 septembre 2001 et ceux qui ont frappé Moscou cette semaine. La Russie est une démocratie, dixit Sarkozy à New York. «Quand New York a été attaqué, ce sont toutes les démocraties du monde qui ont été attaquées. Et quand Moscou est attaqué, c'est nous tous qui sommes attaqués. Face au terrorisme nous ne pouvons pas nous diviser».
Pour conclure, Sarkozy termine par un dernière leçon : « jamais vous ne devez vous recroqueviller. » Il laissa ensuite la place à une vingtaine de minutes pour des questions. Première d'entre elles, un étudiant demande ses projets sur le plateau ... de Saclay, en ile-de-France. Retour au pays. Sarkozy se jette sur le sujet. Oubliés les accents gauchisants ! Le monarque loue la liberté de choisir ses professeurs, la compétition des universités françaises entre elles, et critique la fermeture des bibliothèques de facs le dimanche. On retrouve notre Sarkozy, le temps d'une réponse.
La suivante concerna la réforme de l’assurance maladie aux Etats-Unis. Sarko le gaucho était aussi Sarko le condescendant : «Si vous voulez que je sois vraiment sincère, quand on voit les débats américains, on du mal à y croire. (...) On ne peut pas laissez mourir les gens comme ça.» Il n’a pu s’empêcher cette remarque : « Bienvenue dans le club des Etats qui ne laissent pas tomber les gens malades».
Nicolas Sarkozy pourrait pourtant apprendre beaucoup de son homologue américain : il a mis en œuvre le désengagement américain en Irak – même si on peut trouver le retrait lent et progressif ; fait voter une réforme capitale pour l’assurance maladie de millions d’Américains, un projet devenu loi sur lequel s’était brisée la présidence Clinton en 1993 ; et, surtout, garder le cap de ses promesses malgré un contexte économique tout aussi défavorable aux Etats-Unis. En Sarkofrance, les revirements se sont succédés aux voltes-faces depuis l’été 2008. Et Nicolas Sarkozy l’a payé cher aux dernières élections régionales. « L’école Obama », note un journaliste canadien, pourrait être une bel exemple pour le président français.
De retour en France, Nicolas Sarkozy s'expliquera avec ses parlementaires. Il lui faudra aussi gérer la contestation du bouclier fiscal à droite, le départ de la Fondation Hulot des séances de travail du Grenelle de l'Environnement, la polémique sur les 116 000 euros de voyage en jet privé de son secrétaire d'Etat à la Coopération, le fidèle Alain Joyandet, pour une conférence à Haïti, ou le Conseil d'Etat qui refuse l'interdiction totale de la Burqa.