Pour Bernard, dont je ne partage pas tous les goûts mais pour qui ce blog est, dit-il, “l’intelligence des jours”.
J’écrivis jadis – avant la crise – une note sur les blogs ado qui a encore beaucoup de succès. A l’époque, le blog était une nouveauté, un signe manifeste de modernité, voire de branchitude. Les adultes ne savaient pas trop ce que c’était, donc les ados y trouvaient un domaine vierge qui leur était réservé. Ils écrivaient leurs états d’âme, parfois en fonétik style SMS. Ils y mettaient leurs photos coups de cœur et autres revues de canons et bogoss.
La technique aidant, écrire faisant chier (n’ayons pas peur des mots ados), les blogs qui restent sont de moins en moins rédigés et de plus en plus imagés. Photos au vol, titres vite faits… et on attend les commentaires. Mais la photo ne bouge pas, ne parle pas. Qu’à cela ne tienne ! Vidéo et musik sont là pour ça. Il faut que ça mouve, que ça zappe, que ça reste dans l’air du temps. Un blog, ça oblige : d’écrire ; de poster tous les jours ou presque ; d’être inventif ; de se créer un personnage. Ouahhh ! Comme tout ça prend la tête ! Les ados ont donc trouvé un nouveau terrain de chasse, une terre vierge à explorer.
Les blogs ados sont passés de mode. Pour échanger, vive Fesses-bouc avec photos déconne à tous les albums – et consultables par tout le monde ! Vive Twitter pour exprimer ses états d’âme en 140 signes max. Cela donne à peu près ceci :
13h43 « Envi d1 glass putin ! »
13h49 « sayé jé vu 1 marchan »
13h53 « pa croyab ke cé bon »
13h58 « glace fini envi de gerbé »
14h04 « é vu ma meuf vai la bésé pu envi de gerbé »
14h12 « ça fé du bi1 »
On est bien avancé de savoir tout ça. Et on n’a pas le point de vue de la meuf en question (à moins que meuf soit un mot déjà ringard). Ca twitte sec dans les cours chiants. Vu le nombre de twits, il y en a plein, des cours de ce genre. Le Mammouth pourrait établir un baromètre de l’intérêt d’une heure par le nombre de twit qui en sortent. Les économistes mesurent bien la croissance avec la hausse des déchets industriels ou le nombre de mises au clou au Mont de piété !
Toute la créativité ado s’est transportée sur les sites de vidéo. On trouve de tout, du sport (qui fascine les garçons), des trucs à apprendre (le backflip, le kiss…) qui fascine les ados avides de faire pareil, de l’actualité décalée (qui fascine tout le monde), du bon gros complot (comme dans les BD de mômes), de la zik (chacun chante ce qui lui plaît, avec ou sans style), de la rigolade (humour fin ou grosse blague). Mais surtout (réservé aux ados) de la mise en scène de soi animée avec son – ce qui fait bien plus vrai que le blog. C’est inventif, pas toujours à revoir, mais donne une idée de l’identité d’époque. Le commerce est intégré dans le spectacle : des musiques sont proposées à l’achat via iTunes, contre li tunes évidemment.
Les ados des trois sexes se cherchent, leur « identité » les tracasse. Le groupe « Je suis schizophrène et moi aussi » fleurit sur fesses-bouc. Se montrer dans ses goûts et explorations permet de s’afficher aux autres en attendant les réactions. Enthousiastes, elles conforteront le comportement ; évasives ou négatives, elles le corrigeront. D’où les scènes qui font plus vidiot que vidéo. Les commentaires des pairs, secs et féroces, souvent lucides, sont là pour remettre à l’heure.
Il s’agit d’une vaste éducation démocratique, en somme, où les votants commentateurs, ou bien « le marché » de ceux qui visionnent, servent de sanction bien plus que les exemples hiérarchiques et ringards des adultes ou de la profitude larguée dans les classes ! Cela étonne toujours, un ado ; émouvant, intéressant, questionnant. Les canons de prestance physique sont impitoyables, surtout pour les garçons. Les filles ne manquent pas de composer leur vidéobook de bogoss (en anglais boy’s contest), tandis que les garçons se mettent en valeur pour séduire à la fois leurs pairs et les femelles de la bande. Quand c’est le grand amour ou la mise en couple officielle, on arrête toute exhibition.
Ce pourquoi les très jeunes sont fascinés par le muscle, qu’ils cultivent sélectivement selon les canons vus à la télé (pectos, abdos, biceps) Rien de plus sauf la queue, vers 15 ans, mais en secret sur les sites qui prolifèrent en proposant de la rallonger, de la grossir ou d’élever le débat au faux viagra. Les ados sains s’abstiendront de cette réclame qui ne vise à pomper… que leur fric.
Pour les filles, ce qui rend « thon » est le surpoids. Adieu glaces, biscuits, bouchées ! S’est même créé un groupe fesses-bouc à l’exposé exubérant: « Avec tout les thons qui a sur Terre, on a du sushi à se faire ! » Ce qui rend belle est le teint (frais), la couleur des yeux (nuances) et les pare-chocs (seins et fesses). Mais attention à garder le cap entre « baleines » et « morues ». Avec les ados, on reste toujours dans le basic…
Tel le rock devenu de la musique de vieux, le blog est devenu de l’internet de vieux. Place aux vidéos ! Très courtes, de 20 secondes à 8 minutes. Très vivantes, au rythme copié sur la pub. Avec musik, autorisée ou non. Ce vieux rêve des parents d’éterniser leurs enfants petits, très présent dans les séquences américaines, est repris par les ados en mutation constante. Ils veulent écrire en images leur trace dans le grand livre du monde, celui qui court sans cesse la Toile. On compte les scores de vidéos vues, le nombre d’abonnement à un posteur remarqué, la liste des commentaires style SMS et sans pitié.
Tout un univers inédit, candide d’émoi humain, éternel.
Je n’ai fait qu’effleurer l’exploration, ne passant pas mon temps sur le net ni ma vie avec des ados. Quelques exemples sur Youtube (patientez parfois 1 mn pour le téléchargement) :
Tam
Stuck in the couch
Giuliano Stroe et ses pompes à la verticale
Kid Jason backflip
British teens
Apprendre le backflip
Apprendre le kissing
Exhiber ses muscles Romeo
Jakub 16
Nathan 13
The cutiest brothers
Histoire d’une ado
Comment les filles aiment les garcons : Jen’s cutest boy contest
Best friends
Comment les garçons les aiment
Comment les grands frères aiment les petits : John
Kid