Le Zimbabwe est un pays ravagé par les politiques économiques malavisées. Qu’il s’agisse de ses taux d’inflation à dix zéros encore récemment, de son passage de statut de « grenier à blé de l’Afrique » à celui de l’un des pays les plus touché par la crise alimentaire de 2008, de la dégringolade de son taux d’alphabétisation, le plus élevé de l’Afrique avant 1999 et un des plus bas au monde aujourd’hui, ou du recul de son espérance de vie de 60 ans à 37 ans ces 15 dernières années, il semble évident que le Zimbabwe a de sérieux problèmes de gouvernance.
Aujourd'hui, le parallèle avec la réforme agraire de Mugabe en 2000 est ici incontournable. Elle aussi était censée réduire les inégalités et sortir les Zimbabwéens de la pauvreté. Résultat : elle n'a fait que les appauvrir davantage. Au prétexte de la réparation des erreurs du colonialisme, la loi disposait les modalités de redistribution des terres des fermiers blancs aux Zimbabwéens avec la promesse de sortir de la pauvreté et de réduire les inégalités. Quelques années plus tard, cette loi s'est révélée un échec total : après avoir été exportateur de produits agricoles, le Zimbabwe est devenu un importateur net. Pourquoi ce fiasco ? Les cultivateurs zimbabwéens n’étaient pas prêts techniquement et financièrement à assurer le relai dans cette mutation économique et, comble pour une loi qui lutte contre les inégalités, les meilleures terres ont été attribuées à la nomenklatura.
En observant la loi d'indigénisation, force est de constater que Mugabe est en train de produire les mêmes erreurs.
En effet, cette loi qui prétend vouloir réduire les inégalités en réservant aux Zimbabwéens la majorité dans la propriété des entreprises ne se pose pas la question de savoir si le secteur privé zimbabwéen est prêt pour relever le défi. Malheureusement, le manque de compétences, la prépondérance de l'analphabétisme, la dislocation du secteur bancaire ne nous permettent pas d'être optimistes. Surtout, le climat des affaires est toujours très mauvais au Zimbabwe. Même si le problème de l’inflation à plusieurs centaines de milliards de pourcents a été partiellement réglé en 2009 par l’adoption du dollar américain, la 159° place au rapport Doing Business de la Banque mondiale témoigne toujours d’un climat des affaires médiocre. Idem pour le Global Competitiveness Report qui classe le Zimbabwe à l’avant dernier rang d’une liste de 134 pays. Les droits de propriété privée y sont tous les jours menacés ; au-delà des très médiatisées expropriations de fermiers blancs, l’Indice international des droits de propriété relègue le Zimbabwe au 121ième rang sur 125 pays. Malgré les 80 % de chômage, il est difficile et coûteux d’y embaucher.
On peut pourtant saluer les réformes monétaires et réglementaires de 2008, menées par la cohabitation au pouvoir du principal opposant à Mugabe, Morgan Tsvangirai, pour avoir poussé la croissance économique à 4,9 % alors que le PIB avait chuté de près de 40 % en 10 ans. Le retour des capitaux étrangers, mus par l’espoir d’un changement dans les politiques économiques, avait rendu cette croissance possible. La loi d’indigénisation menace cette reprise.
C’est que le transfert de 51 % du capital entre les mains de Zimbabwéens voulu par cette loi signifie pour les étrangers ni plus ni moins renoncer à avoir le dernier mot sur la gouvernance de son entreprise. Forcées de laisser d’autres personnes piloter les entreprises dans lesquelles ils investissent, les investisseurs étrangers sont incités à ne plus s’intéresser au Zimbabwe.
Par ailleurs, l’État sera propriétaire à travers le Fonds d’indigénisation du Zimbabwe, au moins temporairement, de plusieurs grandes entreprises. Beaucoup d’observateurs se posent même des questions sur la façon dont le Fonds d’indigénisation du Zimbabwe financera ces acquisitions alors que les coffres sont vides et que son existence même dissuade l’afflux de capitaux étrangers. Cette nationalisation intervient alors que le Zimbabwe reçoit l’un des pires scores africains de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International. Mugabe et les autorités zimbabwéennes sont vivement critiqués pour leur gestion d’entreprises publiques, notamment celles de l’eau et de l’électricité. Au-delà des accusations de malversation, une gestion de l’offre catastrophique et un sous-investissement chronique font que les robinets de Harare n’ont plus d’eau de 5 heures du matin à 22 heures. Est-il sage de confier le contrôle sur toute une partie de l’industrie à ces mêmes autorités en proie à l’échec et à la corruption ?
Par conséquent, cette loi, comme celle de la réforme agraire, fera fuir les investisseurs étrangers et poussera les acteurs privés à ne s'intéresser qu'aux petites affaires, comme les agriculteurs laissaient la plupart des terres redistribuées en friche et cultivaient leurs potagers, faute de moyens. Au final, qui profitera de cette loi ? Toujours les membres de la nomenklatura qui vont pouvoir consolider leurs fortunes personnelles au détriment du reste du peuple. Encore une fois, les inégalités n'en seront que davantage creusées.
Il est difficile d’imaginer que le Zimbabwe de Mugabe se sortira du marasme économique et humanitaire.
Mathieu Bédard et Hicham El Moussaoui sont analystes sur www.UnMondeLibre.org.