Kery James: trop réel pour être une vraie star

Publié le 30 mars 2010 par Hibiscusjaune

Photo tirée de l'album "Réel"

On a lancé le mouvement avec Brittany Bosco et Tessanne Chin et on récidive en rappant. Attention, il ne s’agit surtout pas d’un rap à la BET. Non. Alors que beaucoup croient en la fin du rap, on a voulu garder un espoir, aussi mince soit-il.

On a plutôt trouvé un cerveau slammeur, un vrai MC. Le mois passé, il donne un concert dont les bénéfices sont intégralement reversés à une association qui s’occupe d’Haiti. Ça donne envie de revisiter son oeuvre. Au delà de la critique d’un album corrosif, voici le portrait d’un personnage complexe.
Kery James. Son nom fait anglais mais il est français. Il n’a pas le look d’un ange mais ce n’est pas non plus un voyou. Il est cru sans être grossier et il rappe pour le ghetto dans un style soutenu. Fait-il exprès de multiplier les contrastes?


Trop réel pour la frime

Son style, on fait avec ou pas. Sa rage est palpable; nul besoin de maîtriser la langue de Molière pour en saisir son amplitude.
On ne mettrait pas du Kery James dans une fête parce que ses vannes, on ne peut pas vraiment frimer avec.

On ne danse pas sur ma musique donc je serais jamais une superstar

D’ailleurs ce n’est pas vraiment facile de s’attacher à lui parce que ses chansons trahissent un désintérêt total pour l’acceptation, la célébrité et la gloire.

Assez réel pour le vrai rap

Avec Kery on se rapproche du vrai rap. Celui qui était censé dénoncer les injustices, celui des poètes de la rue. Rien avoir avec le rap de 50 Cents et tous les autres gorilles de luxes qui crèvent l’écran avec un bling bling aveuglant.
En vérité, les premiers MCs ou artistes de rap (rhythm and poetry) étaient en quelque sorte une version américanisée des griots africains. Le griot était une sorte de poète musicien chargé de transmettre oralement la culture. C’était un moyen efficace pour que les jeunes générations n’oublient pas le poids de leur histoire. Kery s’est investi d’une mission similaire; il veut faire perpétuer la tradition rap et encourage même une relève.

Tu peux me trancher la gorge mais mes écrits ont une voix
(…)
Si un jour ils m’assassinent
Continuez le combat et enterrez-moi à Médine
« Le prix de la vérité » – Kery James

Se taire c’est parfois cautionner la violence et le non droit
Je ne serais pas complice du silence
Anticolonialiste ce n’est pas être antisémite
Je n’ai que la parole pour trellis
« Avec le coeur et la raison » – Kery James


Trop réel pour assumer sa pluralité

Dans la chanson « Un manque de… », l’artiste rend hommage à ses origines africaines en ouvrant avec des sons de l’Afrique de l’Ouest. Pas mal pour un français né en Guadeloupe de parents haitiens. Mais qui est-il vraiment? Le sait-il seulement? Il est un peu comme tous ses gens sans pays. D’une part, il geint parce qu’il n’est chez lui nulle part mais au fond de lui, il doit être fier de casser les clichés.

S’intégrer ? Mais sous quelle forme ?
Avec mes cheveux crépus et mes lèvres gonflées
Même moi j’ai du mal à le croire mais à ce qu’il parait je suis français
Franchement sans vous offenser, j’suis pas venu en France pour danser
Mais pour banquer, j’ai troqué le zouk contre du sale rap français
« Le prix de la vérité » de Kery James


Assez réel pour jour les rabats-joie

Il donne des leçons de morale. Il se moque de ceux qui trouvent sexy de se tapper de la coke ou qui pensent qu’un passage en prison rend cool. « La poudre aux yeux » commence avec un piano mais on reste sur nos gardes. On a presque l’impression qu’il va s’attendrir mais il reste d’une sincérité tranchante et d’une sobrieté froide.

Ce monde est glauque faut des tripes pour l’affronter
Alors tu te tapes de la coke pour t’absenter
Refuse la réalité, opte pour le voyage
Tu voyages, tu sniffes du rêve ou du courage
Le nez enfariné, le cerveau calciné
« La poudre aux yeux » - Kery James


Trop réel pour ne pas foncer dans le tabou

Tout intello qu’il est, Kery est également un artiste engagé qui se respecte. Il ose se prononcer sur le conflit Israelo-palestinien. Il est musulam, il ne s’en excuse pas. Il sait pourtant que parler religion, ça fache toujours les gens.

Qui peut prétendre que je devrais rester impartial
Pour rester impartial quand l’injustice est flagrante
(…)
J’écris ce texte, manifeste de mon soutien actif, aux pacifiques, aux palestiniens. Pas uniquement parce qu’ils y a parmi eux des musulmans car, contrairement aux idées reçues et ancrées dans l’inconscient collectif, les arabes palestiniens ne sont pas tous musulmans.
« Avec le coeur et la raison » – Kery James


Assez réel pour se savoir imparfait

Contre la guerre, contre la violence. Il veut casser les mythes sur le rap. Il nous dit de ne « confondre le rap et la vie » parce qu’il n’y a « pas de gangster parmi les MCs ». Ça fait pourtant des années qu’on nous chante qu’il faut passer son bac dans un prestigieux établissement correctionnel pour être crédible dans le hip-hop. Alors quand on écoute l’album « Réel », on a plutôt envie de rire de ses petits caïds, stupides et naïfs, qui se croient dans la cour des grands parce qu’ils n’ont pas peur de se casser les dents.

Toutefois, Kery n’est pas forcément à l’abri des choses qu’il dénonce. À cause d’une altercation qui a mal tourné, il se retrouve avec une promesse de prison avec dix mois de sursis.
On lui reproche vite de prêcher la paix et de se battre. Par contre, ses textes nous laissent croire qu’il ne se réjouit pas de son fort tempérament.

J’ai honte de ne pas être, celui que vous admirez,
Je ne serais jamais uniquement, celui qui vous espérez,
En moi y’a de l’amour,
Mais en moi y’a de la haine,
En moi y’a de la peine
Et il me reste un peu d’humour,
En moi y’a de la tendresse, mais je peux être une brute,
Dans ma bouche y’a de la sagesse mais y’a parfois des insultes
« Lettre à mon public » – Kery James

Peut-être que le plus gros de sa violence vit surtout dans ses paroles. Son album ne porte pas la mention « paroles explicites » et ses textes restent propres. Tellement propres qu’on pourrait les lire aux élèves de primaire. Tellement propres qu’ondevrait les lire aux élèves de primaires… surtout ceux des quartiers difficiles. Ceux que les médias nous apprennent à mépriser. Ceux qui se font enseigner la haine donc l’échec avant d’avoir atteint le lycée ou le secondaire.
Ils ont besoin de ce flow brutal, de se faire flinguer avec des cordes vocales.

Pratiquement tous les artistes réusissent à choquer par la vulgarité. Avec Kery, on comprend qu’il ne faut pas défendre des causes nobles avec des mots sales.

Ne les crois pas authentiques parce qu’ils sont vulgaires
« Réel » – Kery James

Trop réel pour rapper?

Disiz nous avait annoncé la fin de sa carrière rap; il se reconvertira au rock. Il a essayé d’expliquer son dégoût après avoir pondu son dernier album. Qu’il y a t-il de si repoussant dans le monde du rap?
Kery aussi nous quitte sur cet album en nous expliquant pourquoi il quitte le rap… temporairement.

Il promet revenir… un jour. Il ne se sent pas aussi fort qu’il le paraît car « aux portes de l’illicite difficile de rester réglo ».
Il ne veut pas que l’univers du rap le corrompe et il se retire avec un fond de guitare.

Ici les gens sont faux, fous, fourbes, travestissent les valeurs,
Considèrent le pire comme le meilleur.
Chut juste un instant,
Laisse moi prendre du recul pour mieux reprendre de l’élan.
Que je souffre, que je m’ouvre, que je me retrouve
Peut être même que je me découvre
« Lettre à mon public » – Kery James