Il est des titres de livres qui vous incitent à la lecture et d’autres pas. Le titre du livre de Catherine Lovey, publié aux Editions Zoé ici, appartient, pour une raison qui m’est en grande partie inconsciente, à la première catégorie. Sans doute parce que tout ce qui touche à la Russie ne m’est pas étranger. Sans doute parce que, pour avoir tenu l’objet en main, à la FNAC de Lausanne, il m’est apparu contemporain et que mon époque a le don de me passionner et de m’irriter, à la fois.
Un roman russe et drôle nous lance sur deux fausses pistes. La première fausse piste nous est suggérée par le titre lui-même. Il ne faut pas entendre « drôle » dans la première acception du terme qui nous vient à l’esprit. Si vous cherchez à vous dilater la rate, vous en serez pour vos frais, même si vous êtes amené par moment à sourire. En fait, ce livre, où il y a un roman dans le roman, est drôle au sens de bizarre, d’intrigant, ce qui n’est d’ailleurs pas une moindre qualité pour un roman.
La deuxième fausse piste nous est suggérée par la quatrième page de couverture. Après l’avoir lue, vous penserez très naturellement que le héros de ce roman - et du roman contenu dans ce roman - est l’oligarque Khodorkovski, qui fut un moment l’homme le plus riche de Russie et qui moisit pourtant, depuis maintenant cinq ans, dans un camp de Sibérie, celui de Krasnokamensk. En réalité il ne s’agit là que d’un prétexte, comme vous ne tardez pas à le découvrir.
Valentine Y. est romancière. Comme elle aime la Russie, elle tient absolument à écrire un roman russe. Mais elle ne veut pas écrire n’importe quel roman russe. Elle veut que le héros de ce roman soit justement l’oligarque Khodorkovski, dont le sort la dérange et qu’elle voudrait bien comprendre. Comme elle veut pouvoir écrire un véritable roman russe autour de ce personnage, elle compte bien se rendre en Sibérie pour recueillir sur place les éléments qui lui permettront de le raconter en vérité.
Tous les amis de la romancière veulent la dissuader non pas d’écrire un roman russe – ce serait plutôt tendance – mais de prendre Khodorkovski pour héros de ce roman russe, sous les prétextes les plus divers. Or, au contraire, elle considère que cet oligarque est un personnage de roman idéal. Ce multimilliardaire, roi du pétrole, « aurait pu fuir ou se compromettre face au pouvoir » mais il n’a fait ni l’un ni l’autre et croupit dans un bagne russe, qui plus est « dans le régime commun », ce qui l’épate.
Valentine Y. se rend donc en Russie. Sa première étape est Moscou, d’où elle prépare sérieusement son expédition en Sibérie. C’est l’occasion pour elle de découvrir une Russie qui n’a rien à voir avec celle qu’elle a connue plusieurs années plus tôt et qui lui avait laissé un souvenir impérissable. Des obstacles surgis du passé se dressent devant elle comme pour l’empêcher de poursuivre sa quête. Ils sont toutefois insuffisants pour la faire renoncer.
Pendant de longs mois Valentine Y. tient au courant Jean, son meilleur ami et confident, de son périple sibérien. Elle lui envoie des lettres qui ne lui ressemblent pas, des extraits de son roman en cours d’élaboration. Puis, tout d’un coup, plus rien. Jean, au bout de plus de deux mois et demi sans nouvelles, parce que sa santé ne lui permet pas de rechercher lui-même Valentine disparue, charge Ioulia une amie de son amie Elena de la retrouver.
Le roman de Catherine Lovey prend alors une tournure de plus en plus russe, dont cet échantillon de courriel adressé par Jean à Ioulia pourra donner quelque idée :
« Dans notre cœur, la Russie n’est pas seulement un pays, mais avant tout une partie de notre culture et, pour certains d’entre nous, la face audacieuse de nos aspirations, sans laquelle nous n’oserions jamais chatouiller les nuages, juste en dessous du paradis, ni surtout creuser la terre, à l’endroit même où elle s’ouvre sur l’enfer. »
La Russie d’aujourd’hui est la véritable héroïne d’Un roman russe et drôle. Une Russie éternelle et changeante, qui fascine Catherine Lovey et qu’elle aime indéniablement, profondément, telle qu’elle est. Pour sembler détachée de cette fascination et de cet amour implicite, envahissant, elle traite par moments le sujet sur le ton de la dérision, qui est encore le moyen le plus efficace pour ne pas se laisser entraîner sur une pente par trop romantique.
Francis Richard
Nous en sommes au
619e jour de privation de
liberté pour Max Göldi, le dernier otage suisse en Libye