Moi, Magda F. 29 ans, droguée de la lecture, prostituée du blog*
Interdiction de lire : vous avez bien lu!
C’est l’horrible sentence prononcée par Julia Cameron, pour la quatrième semaine de ma guérison créative. Il s’agit toujours, chers lecteurs, de ce programme en douze semaines, publié sous la forme d’un livre, The artist’s way, dont j’ai parlé il y a quelques temps.
Pendant une semaine, afin de « remplir le puits de ma créativité », je n’ai droit ni aux romans, ni aux essais, ni aux pages de blogs, ni même au journal du matin, ou au dos du paquet de cornflakes.
Quand j’ai lu la tâche de la semaine, censée provoquer en moi un « bond créatif », j’étais dans le métro, j’ai levé les yeux et j’ai marmonné : bullshit! Arrêter la procrastination sur Internet, l’écoute compulsive de RFI ou le boulottage de chocolat, ça, ce serait une façon de me dépolluer l’esprit. Mais arrêter de lire? Julia Cameron, cette dingue, ne saurait-elle donc pas que la littérature est sacrée, tout bonnement?
Je suis contre! J’enrage! Je VEUX lire!
Voilà à quoi ressemble une journée sans lecture pour moi.
09h = Petit-déjeuner : je fais la gueule devant mon muesli, j’écoute RFI – compulsivement, bien sûr. J’apprends que Sarkozy squatte la Maison Blanche en ce moment (cela dit, j’ai l’impression qu’il y est tous les dix jours). Je fais la vaisselle, je lance une machine. Mon colocataire, un écrivain nocturne, me demande s’il est vraiment urgent de passer l’aspirateur à 9 heures du matin. Oh, ça va, hein. Toi, tu as le droit de lire! est une réponse qui le laisse interloqué.
11h = Journée de boulot devant mon ordinateur (je suis écrivain diurne) : je me demande si j’ai le droit de relire mes propres pages de brouillon. Si la lecture de mails liés au travail est interdite, elle aussi? Si j’ai le droit de lire les commentaires de mon blog? Sarcasme. Moquerie. Hahaha.
13h = Une fille avec qui je travaille me balance un dossier sur sa nouvelle mise en scène. Imprévu fatal. Que dire? Pardon, je suis interdite de lecture? Impossible, elle me prendrait pour une allumée. Je dis : Pardon, je suis en plein boulot. Je lirai ton dossier la semaine prochaine. La fille me fait la gueule par mail.
18h = Escapade au cours de danse classique (que j’ai recommencé à faire depuis que je suis le programme de Julia Cameron). Dans le métro, je suis obligée de regarder devant moi, de faire attention au paysage. Et alors? Black Girl, White Girl de Joyce Carol Oates est plus beau que le chemin de fer berlinois, que je sache!
20h = Sortie au théâtre : je ne lis pas le programme, ni même l’étiquette de ma limonade au bar du théâtre. La pièce est superbe. Heureusement qu’il n’y a pas de surtitrage.
Minuit = Extinction des feux : ne pas pouvoir lire avant de dormir ? J’en ai des palpitations. Je me demande s’il me reste un somnifère quelque part. Un truc puissant. De la marijuana? Je soupçonne mon boulanger d’en vendre, je pourrai peut-être…? D’ailleurs, je connais personnellement une pâtissière berlinoise qui en met dans ses cookies, et c’est exquis. Alors qu’à fumer, c’est vraiment dégueulasse, avouez. Bien. Je n’aime pas la marijuana, et je suis contre le trafic de drogues, qui favorise l’esclavage moderne dans l’hémisphère sud…
01h = Je me relève, j’appelle un copain couche-tard pour aller boire un verre de vin blanc. Oh, et puis deux. Puisqu’on y est, je m’allume une petite cigarette alors que j’avais plus ou moins / presque / quasiment arrêté de fumer…
03h = je rentre effarée et tombe sur mon lit. Je comprends : je suis droguée de la lecture! C’est un véritable cauchemar. Et je suis en désintoxication.
A part ça, je mange cinq fruits et légumes par jour et je fais plein de sport, ne vous inquiétez pas. J’existe avec modération.
*Sur la photo, il s’agit en fait de Natja Brunckhorst, dans le rôle de Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée, dans le film de Uli Edel sorti en 1981.