Les expositions des nouvelles acquisitions d’un musée sont en général ennuyeuses, car décousues, juxtaposant une longue série d’oeuvres sans suite, sans sens. Celle des récentes acquisitions photographiques du Centre Pompidou, visible jusqu’au 7 Janvier, est au contraire un vrai plaisir. C’est bien sûr dû à la qualité des photos présentées, mais c’est aussi parce que l’exposition propose un parcours, des thèmes, des regroupements, d’où naît parfois la surprise et la beauté. De plus, les cartels sont très bien écrits, informatifs juste comme il faut, ne dirigeant pas trop le regard (type Tate), mais suscitant la curiosité. Au total, même s’il y a des lacunes (un seul Cartier-Bresson, par exemple), c’est un beau panorama de la photo au XXème siècle.
J’y ai retrouvé avec plaisir quelques photographies vues ailleurs, parfois évoquées ici, et j’y ai fait de belles découvertes. Parmi les premières, le délicieux âne sur une barque de Paola Pivi, les forêts profondes d’Eric Poitevin, Martin Parr ridiculisant les vacanciers anglais, mon chouchou Mohamed Camara, le roi nègre de Samuel Fosso qui ouvrait Africa Remix, un paysan de Zwelethu Mthethwa, des danseurs de Malick Sidibé (héros de Venise), des portraits griffonnés d’Arnulf Rainer, la série d’autoportraits noircis sous l’encre de Zhang Huan, un bombardement afghan de Luc Delahaye, et, pour finir, huit photos de Walid Raad (The Atlas Group), trop méconnu en France; cette superbe série de photos de mémoire est titrée “We decided to let them say “We are convinced” twice. It was more convincing this way. 1982-2004.”
Mais bien plus nombreuses sont les découvertes. D’abord, beaucoup de photos surréalistes, certaines provenant de la vente de la collection d’André Breton. Il y a en particulier de bien intéressants photomatons. Dans une veine similaire, les portraits démultipliés de Marcel Duchamp et d’Henri-Pierre Roché à la Broadway Photo Shop (comme ceux de Cohl, vus ici). J’ai admiré longuement ce Nu noir et blanc (1930-36) de Heinz Hajek-Halke, comme un dédoublement bicolore d’une déesse ailée acéphale, s’élançant vers le ciel, jaillissant hors du cadre, sûre de sa force et de sa beauté; j’espère aller voir son exposition à Berlin.
Ces Reflets d’arbres (1934), du duo Théo Blanc et Antoine Demilly troublent par leur mélancolie spectrale, on perd tout repère, tout sens du réel au milieu de ces formes floues et tremblotantes; seules les trois marches rassurent par leur solidité, leur réalité, jusqu’à ce qu’on comprenne que la photo a été simplement retournée. Les études de vibration d’un piéton (2004) d’Olafur Eliasson génèrent un malaise similaire, un déséquilibre, une perte de repères. Ses fines lignes blanches incertaines couvrent toute la longueur d’un mur : c’est simplement, à la manière de Marey, l’enregistrement lumineux des mouvements d’un piéton, mais, au delà de la beauté graphique de ces lignes, on y perçoit du mystère, de la magie.
Enfin, pour n’en citer que deux autres, très différents, un Hurleur, de la série Panoptique de Mathieu Pernot, qui crie son message d’amour ou de complicité, vers un prisonnier inaccessible et invisible; et la Série Silence #4 de Wallace Berman (vers 1965) qui, réalisée avec une photocopieuse, montre sa main tenant une image, de femme, d’avion, d’athlète. Ce sont des images publicitaires qui se retrouvent ainsi reprises, iconisées et détruites à la fois, et le résultat est captivant.
Le catalogue est excellent; il n’est pas bon marché (45 euros), mais il offre non seulement un panorama très complet, mais aussi une approche thématique très intéressante et instructive. Des quatre catalogues récemment publiés par Pompidou, c’est le seul que j’ai déjà lu en entier. Dommage toutefois qu’on n’y retrouve pas le texte des cartels.